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— Excessivement drôle, dit Chicot.

— Quel malheur de ne pas pouvoir entendre !

— Oui, c’est un malheur.

— La scène doit être bouffonne.

— Au dernier degré ; mais qui donc vous empêche d’entrer ?

— Il m’a renvoyé.

— Sous quel prétexte ?

— Sous prétexte qu’il allait se confesser.

— Qui vous empêche d’écouter à la porte ?

— Eh ! vous avez raison, dit l’hôte en s’élançant hors de la chambre.

Chicot, de son côté, courut à son trou.

Pierre de Gondy était assis au chevet du lit du malade ; mais ils parlaient si bas tous deux, que Chicot ne put entendre un seul mot de leur conversation.

D’ailleurs, l’eût-il entendue, cette conversation, tirant à sa fin, lui eût appris peu de chose ; car, après cinq minutes, M. de Gondy se leva, prit congé du mourant et sortit.

Chicot courut à la fenêtre.

Un laquais, monté sur un courtaud, tenait en bride le grand cheval dont avait parlé l’hôte : un instant après l’ambassadeur de MM. de Guise parut, se mit en selle et tourna l’angle de la rue qui conduisait à la grande rue de Paris.

— Mordieu ! dit Chicot, pourvu qu’il n’emporte pas la généalogie ; en tout cas, je le rejoindrai toujours, dussé-je crever dix chevaux pour le rejoindre.

Mais non, dit-il, ces avocats sont de fins renards, le nôtre surtout, et je soupçonne… Je vous demande un peu, continua Chicot frappant du pied avec impatience, et rattachant sans doute dans son esprit son idée à une autre, je vous demande un peu où est ce drôle de Gorenflot.

En ce moment l’hôte rentra.

— Eh bien ? demanda Chicot.

— Il est parti, dit l’hôte.

— Le confesseur ?

— Qui n’est pas plus un confesseur que moi.

— Et le malade ?

— Il s’est évanoui après la conférence.

— Vous êtes sûr qu’il est toujours dans sa chambre ?

— Parbleu ! il n’en sortira probablement que pour se faire conduire au cimetière.

— C’est bon ; allez, et envoyez-moi mon frère aussitôt qu’il reparaîtra.

— Même s’il est ivre ?

— En quelque état qu’il soit.

— C’est donc urgent ?

— C’est pour le bien de la chose.

Bernouillet sortit précipitamment : c’était un homme plein de zèle.

C’était au tour de Chicot d’avoir la fièvre ; il ne savait s’il devait courir après Gondy ou pénétrer chez David ; si l’avocat était aussi malade que le prétendait l’aubergiste, il était probable qu’il avait chargé M. de Gondy de ses dépêches. Chicot arpentait donc sa chambre comme un fou, se frappant le front et cherchant une idée parmi les millions de globules bouillonnant dans son cerveau.

On n’entendait plus rien dans la chambre de son observatoire, Chicot ne pouvait apercevoir que l’angle du lit enveloppé dans ses rideaux.

Tout à coup une voix retentit dans l’escalier. Chicot tressaillit : c’était celle du moine.

Gorenflot, poussé par l’hôte, qui voulait inutilement le faire taire, montait une à une les marches de l’escalier, en chantant d’une voix avinée :

Le vin
Et le chagrin
Se battent dans ma tête ;
Ils y font un tel train
Que c’est une tempête.
Mais l’un est le plus fort :
C’est le vin !
Si bien que le chagrin
En sort
Grand train.

Chicot courut à la porte.

— Silence donc, ivrogne ! cria-t-il.

— Ivrogne, dit Gorenflot, parce qu’on a bu !

— Voyons ! viens ici, et vous, Bernouillet, vous savez…

— Oui, dit l’aubergiste en faisant un signe d’intelligence et en descendant les escaliers quatre à quatre.

— Viens ici, te dis-je, continua Chicot en tirant le moine dans sa chambre, et causons sérieusement, si tu peux.

— Parbleu ! dit Gorenflot, vous raillez, compère. Je suis sérieux comme un âne qui boit.

— Ou qui a bu, dit Chicot en levant les épaules.

Puis il le conduisit à un siège sur lequel Gorenflot se laissa aller en poussant un ah ! plein de jubilation.

Chicot alla fermer la porte et revint à Gorenflot avec un visage si sérieux, que celui-ci comprit qu’il s’agissait d’écouter.

— Voyons, qu’y a-t-il encore ? dit le moine, comme si ce mot résumait toutes les persécutions que Chicot lui faisait endurer.

— Il y a, répondit Chicot fort rudement, que tu ne songes pas assez aux devoirs de ta profession ; tu te vautres dans la débauche, tu pourris dans l’ivrognerie, et, pendant ce temps, la religion devient ce qu’elle peut, corbœuf !

Gorenflot leva ses deux gros yeux étonnés sur son interlocuteur.

— Moi ? dit-il.

— Oui, toi ; regarde, tu es ignoble à voir. Ta robe est déchirée, tu t’es battu en chemin, tu as l’œil gauche cerclé de noir.

— Moi ! reprit Gorenflot, de plus en plus étonné des reproches auxquels Chicot ne l’avait point habitué.

— Sans doute ; tu as de la boue par-dessus les genoux, et quelle boue ! de la boue blanche, ce qui prouve que tu as été t’enivrer dans les faubourgs.

— C’est ma foi vrai, dit Gorenflot.

— Malheureux ! un moine génovéfain, si tu étais cordelier encore !

— Chicot, mon ami, je suis donc bien coupable ? dit Gorenflot attendri.

— C’est-à-dire que tu mérites que le feu du ciel te consume jusqu’aux sandales ; prends garde, si cela continue, je t’abandonne.

— Chicot, mon ami, dit le moine, tu ne ferais pas cela.

— Il y a aussi des archers à Lyon.

— Oh ! grâce, mon cher protecteur ! balbutia le moine, qui se mit non pas à pleurer, mais à beugler comme un taureau.

— Fi ! la laide brute ! continua Chicot, et dans quel moment, je te le demande, te livres-tu à de pareils déportements ? quand nous avons un voisin qui se meurt.

— C’est vrai, dit Gorenflot d’un air profondément contrit.

— Voyons, es-tu chrétien, oui ou non ?

— Si je suis chrétien ! s’écria Gorenflot en se levant, si je suis chrétien ! tripes du pape ! je le suis ; je le proclamerais sur le gril de saint Laurent.

Et, le bras étendu comme pour jurer, il se mit à chanter, de façon à briser les vitres :

Je suis chrétien,
C’est mon seul bien.

— Assez, dit Chicot en le bâillonnant avec la main, si tu es chrétien, ne laisse pas mourir ton frère sans confession.

— C’est juste, où est mon frère ? que je le confesse, dit Gorenflot, c’est-à-dire quand j’aurai bu, car je meurs de soif.

Et Chicot passa au moine un pot plein d’eau, que celui-ci vida presque entièrement.

— Ah ! mon fils, dit-il en reposant le pot sur la table, je commence à voir clair.

— C’est bien heureux, répondit Chicot, décidé à profiter de ce moment de lucidité.

— Maintenant, mon tendre ami, continua le moine, qui faut-il que je confesse ?

— Notre malheureux voisin qui se meurt.

— Qu’on lui donne une pinte de vin au miel, dit Gorenflot.

— Je ne dis pas non ; mais il a plus besoin des secours