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chent de ce côté… ils ouvrent la porte… ils entrent.

— Qu’ils entrent ! répondis-je sans faire un mouvement.

— Mais ces quatre hommes, c’est sans doute le duc d’Anjou, Aurilly et les deux hommes de leur suite.

Je tirai pour toute réponse mon poignard et le plaçai près de moi sur la table.

— Oh ! laissez-moi voir du moins, dit Gertrude, en s’élançant vers la porte.

— Vois, répondis-je.

Un instant après, Gertrude rentra.

— Mademoiselle, dit-elle, c’est M. le comte.

Je remis mon poignard dans ma poitrine sans prononcer une seule parole. Seulement je tournai la tête du côté du comte.

Sans doute il fut effrayé de ma pâleur.

— Que me dit Gertrude ? s’écria-t-il, que vous m’avez pris pour le duc, et que, si c’eût été le duc, vous vous fussiez tuée.

C’était la première fois que je le voyais ému. Cette émotion était-elle réelle ou factice ?

— Gertrude a eu tort de vous dire cela, monsieur, répondis-je ; du moment où ce n’est pas le duc, tout est bien.

Il se fit un instant de silence.

— Vous savez que je ne suis pas venu seul, dit le comte.

— Gertrude a vu quatre hommes.

— Vous doutez-vous qui ils sont ?

— Je présume que l’un est prêtre, et que les deux autres sont nos témoins.

— Alors, vous êtes prête à devenir ma femme ?

— N’est-ce pas chose convenue ? Seulement, je me souviens du traité ; il était convenu encore qu’à moins d’urgence reconnue de ma part, je ne me marierais pas hors de la présence de mon père.

— Je me rappelle parfaitement cette condition, mademoiselle ; mais croyez-vous qu’il y ait urgence ?

— Oui, je le crois.

— Eh bien ?

— Eh bien, je suis prête à vous épouser, monsieur. Mais rappelez-vous ceci : c’est que je ne serai réellement votre femme que lorsque j’aurai revu mon père.

Le comte fronça le sourcil et se mordit les lèvres.

— Mademoiselle, dit-il, mon intention n’est point de forcer votre volonté ; si vous avez engagé votre parole, je vous rends votre parole : vous êtes libre ; seulement…

Il s’approcha de la fenêtre et jeta un coup d’œil dans la rue.

— Seulement, dit-il, regardez.

Je me levai, mue par cette puissante attraction qui nous pousse à nous assurer de notre malheur, et au-dessous de la fenêtre j’aperçus un homme enveloppé d’un manteau, qui semblait chercher un moyen de pénétrer dans la maison.

— Ô mon Dieu ! dit Bussy, et vous dites que c’était hier ?

— Oui, comte, hier, vers les neuf heures du soir.

— Continuez, dit Bussy.

Au bout d’un instant, un autre homme vint rejoindre le premier, celui-là tenait une lanterne à la main.

— Que pensez-vous de ces deux hommes ? me demanda M. de Monsoreau.

— Je pense que c’est le duc et son affidé, répondis-je.

Bussy poussa un gémissement.

— Maintenant, continua le comte, ordonnez : faut-il que je reste, faut-il que je me retire ?

Je balançai un instant : oui, malgré la lettre de mon père, malgré la promesse jurée, malgré le danger présent, palpable, menaçant, oui, je balançai ! et si ces deux hommes n’eussent point été là…

— Oh ! malheureux que je suis ! s’écria Bussy : l’homme au manteau, c’était moi, et celui qui portait la lanterne, c’était Remy le Haudouin, ce jeune docteur que vous avez envoyé chercher.

— C’était vous ! s’écria Diane avec stupeur.

— Oui, moi ; moi, qui de plus en plus convaincu de la réalité de mes souvenirs, cherchais à retrouver la maison où j’avais été recueilli, la chambre où j’avais été transporté, la femme ou plutôt l’ange qui m’avait apparu. Oh ! j’avais bien raison de m’écrier que j’étais un malheureux !

Et Bussy demeura comme écrasé sous le poids de cette fatalité qui s’était servie de lui pour déterminer Diane à donner sa main au comte.

— Ainsi, reprit-il au bout d’un instant, vous êtes sa femme ?

— Depuis hier, répondit Diane.

Et il se fit un nouveau silence, qui n’était interrompu que par la respiration haletante des deux jeunes gens.

— Mais vous, demanda tout à coup Diane, comment êtes-vous entré dans cette maison, comment vous trouvez-vous ici ?

Bussy lui montra silencieusement la clé.

— Une clé ! s’écria Diane ; d’où vous vient cette clé et qui vous l’a donnée ?

— Gertrude n’avait-elle pas promis au prince de l’introduire près de vous ce soir ? Le prince avait vu M. de Monsoreau et m’avait vu moi-même, comme M. de Monsoreau et moi l’avions vu ; il a craint quelque piège et m’a envoyé à sa place.

— Et vous avez accepté cette mission ? dit Diane avec le ton du reproche.

— C’était le seul moyen de pénétrer près de vous. Serez-vous assez injuste pour m’en vouloir d’être venu chercher une des plus grandes joies et une des plus grandes douleurs de ma vie ?

— Oui, je vous en veux, dit Diane, car il eût mieux valu que vous ne me revissiez pas, et que, ne me revoyant pas, vous m’oubliassiez.

— Non, madame, dit Bussy, vous vous trompez. C’est Dieu au contraire qui m’a conduit près de vous pour pénétrer au plus profond de cette trame dont vous êtes victime. Écoutez : du moment où je vous ai vue, je vous ai voué ma vie. La mission que je me suis imposée va commencer. Vous avez demandé des nouvelles de votre père ?

— Oh ! oui, s’écria Diane, car, en vérité, je ne sais pas ce qu’il est devenu.

— Eh bien, dit Bussy, je me charge de vous en donner, moi ; gardez seulement un bon souvenir à celui qui, à partir de ce moment, va vivre par vous et pour vous.

— Mais cette clé ? dit Diane avec inquiétude.

— Cette clé, dit Bussy, je vous la rends, car je ne veux la tenir que de votre main ; seulement je vous engage ma foi de gentilhomme que jamais sœur n’aura confié la clé de son appartement à un frère plus dévoué et plus respectueux.

— Je me fie à la parole du brave Bussy, dit Diane ; tenez, monsieur.

Et elle rendit la clé au jeune homme.

— Madame, dit Bussy, dans quinze jours nous saurons ce qu’est véritablement M. de Monsoreau.

Et, saluant Diane avec un respect mêlé à la fois d’ardent amour et de profonde tristesse, Bussy disparut par les montées.

Diane inclina la tête vers la porte pour écouter le bruit des pas du jeune homme qui s’éloignait, et ce bruit avait déjà cessé depuis longtemps, que, le cœur bondissant et les yeux baignés de larmes, elle écoutait encore.


CHAPITRE XVII.

COMMENT VOYAGEAIT LE ROI HENRI III, ET QUEL TEMPS IL LUI FALLAIT POUR ALLER DE PARIS À FONTAINEBLEAU.


Le jour qui se levait quatre ou cinq heures après les événements que nous venons de raconter vit, à la lueur d’un soleil pâle et qui argentait à peine les franges d’un nuage rougeâtre, le départ du roi Henri III pour Fontainebleau, où, comme nous l’avons dit, une grande chasse était projetée pour le surlendemain.

Ce départ, qui chez un autre fût resté inaperçu, comme tous les actes de la vie de ce prince étrange dont nous avons entrepris d’esquisser le règne, faisait au contraire événement par le bruit et le mouvement qu’il traînait avec lui.