voix de Gertrude qui m’appelait. Je me retournai, et je m’aperçus que notre troupe s’était dédoublée ; quatre hommes avaient pris un sentier latéral et l’entraînaient dans la forêt, tandis que le comte de Monsoreau et les quatre autres suivaient avec moi le même chemin.
— Gertrude ! m’écriai-je. Monsieur, pourquoi Gertrude ne vient-elle pas avec nous ?
— C’est une précaution indispensable, me dit le comte ; si nous sommes poursuivis, il faut que nous laissions deux traces ; il faut que de deux côtés on puisse dire qu’on a vu une femme enlevée par des hommes. Nous aurons alors la chance que M. le duc d’Anjou fasse fausse route, et coure après votre suivante au lieu de courir après vous.
Quoique spécieuse, la réponse ne me satisfit point ; mais que dire, mais que faire ? je soupirai et j’attendis.
D’ailleurs, le chemin que suivait le comte était bien celui qui me ramenait au château de Méridor. Dans un quart d’heure, au train dont nous marchions, nous devions être arrivés au château ; quand tout à coup, parvenu à un carrefour de la forêt qui m’était bien connu, le comte, au lieu de continuer à suivre le chemin qui me ramenait chez mon père, se jeta à gauche et suivit une route qui s’en écartait visiblement. Je m’écriai aussitôt, et, malgré la marche rapide de ma haquenée, j’appuyais déjà la main sur le pommeau de la selle pour sauter à terre, quand le comte, qui sans doute épiait tous mes mouvements, se pencha de mon côté, m’enlaça de son bras, et, m’enlevant de ma monture, me plaça sur l’arçon de son cheval. La haquenée, se sentant libre, s’enfuit en hennissant à travers la forêt.
Cette action s’était exécutée si rapidement de la part du comte, que je n’avais eu que le temps de pousser un cri.
M. de Monsoreau me mit rapidement la main sur la bouche.
— Mademoiselle, me dit-il, je vous jure, sur mon honneur, que je ne fais rien que par ordre de votre père, comme je vous en donnerai la preuve à la première halte que nous ferons ; si cette preuve ne vous suffit point ou vous paraît douteuse, sur mon honneur encore, mademoiselle, vous serez libre.
— Mais, monsieur, vous m’aviez dit que vous me conduisiez chez mon père ! m’écriai-je en repoussant sa main et en rejetant ma tête en arrière.
— Oui, je vous l’avais dit, car je voyais que vous hésitiez à me suivre, et un instant de plus de cette hésitation nous perdait, lui, vous et moi, comme vous avez pu le voir. Maintenant, voyons, dit le comte en s’arrêtant, voulez-vous tuer le baron ? voulez-vous marcher droit à votre déshonneur ? Dites un mot, et je vous ramène au château de Méridor.
— Vous m’avez parlé d’une preuve que vous agissiez au nom de mon père ?
— Cette preuve, la voilà, dit le comte ; prenez cette lettre, et, dans le premier gîte où nous nous arrêterons, lisez-la. Si, quand vous l’aurez lue, vous voulez revenir au château, je vous le répète, sur mon honneur, vous serez libre. Mais, s’il vous reste quelque respect pour les ordres du baron, vous n’y retournerez pas, j’en suis bien certain.
— Allons donc, monsieur, et gagnons promptement ce premier gîte, car j’ai hâte de m’assurer si vous dites la vérité.
— Souvenez-vous que vous me suivez librement.
— Oui, librement, autant toutefois qu’une jeune fille est libre dans cette situation où elle voit d’un côté la mort de son père et son déshonneur, et, de l’autre, l’obligation de se fier à la parole d’un homme qu’elle connaît à peine ; n’importe, je vous suis librement, monsieur ; et c’est ce dont vous pourrez vous assurer, si vous voulez bien me faire donner un cheval.
Le comte fit signe à un de ses hommes de mettre pied à terre. Je sautai à bas du sien, et, un instant après, je me retrouvai en selle près de lui.
— La haquenée ne peut être loin, dit-il à l’homme démonté ; cherchez-la dans la forêt, appelez-la ; vous savez qu’elle vient comme un chien à son nom ou au sifflet. Vous nous rejoindrez à la Châtre.
Je frissonnai malgré moi. La Châtre était à dix lieues déjà du château de Méridor, sur la route de Paris.
— Monsieur, lui dis-je, je vous accompagne ; mais, à la Châtre, nous ferons nos conditions.
— C’est-à-dire, mademoiselle, répondit le comte, qu’à la Châtre vous me donnerez vos ordres.
Cette prétendue obéissance ne me rassurait point ; cependant, comme je n’avais pas le choix des moyens, et que celui qui se présentait pour échapper au duc d’Anjou était le seul, je continuai silencieusement ma route. Au point du jour, nous arrivâmes à la Châtre. Mais au lieu d’entrer dans le village, à cent pas des premiers jardins, nous prîmes à travers terres, et nous nous dirigeâmes vers une maison écartée.
J’arrêtai mon cheval.
— Où allons-nous ? demandai-je.
— Écoutez, mademoiselle, me dit le comte, j’ai déjà remarqué l’extrême justesse de votre esprit, et c’est à votre esprit même que j’en appelle. Pouvons-nous, fuyant les recherches du prince le plus puissant après le roi, nous arrêter dans une hôtellerie ordinaire, et au milieu d’un village dont le premier paysan qui nous aura vus nous dénoncera ? On peut acheter un homme, on ne peut pas acheter tout un village.
Il y avait dans toutes les réponses du comte une logique ou tout au moins une spéciosité qui me frappait.
— Bien, lui dis-je. Allons.
Et nous nous remîmes en marche.
Nous étions attendus ; un homme, sans que je m’en fusse aperçue, s’était détaché de notre escorte et avait pris les devants. Un bon feu brillait dans la cheminée d’une chambre à peu près propre, et un lit était préparé.
— Voici votre chambre, mademoiselle, dit le comte ; j’attendrai vos ordres.
Il salua, se retira et me laissa seule.
Mon premier soin fut de m’approcher de la lampe et de tirer de ma poitrine la lettre de mon père… la voici, monsieur de Bussy : je vous fais mon juge, lisez.
Bussy prit la lettre et lut :
« Ma Diane bien-aimée, si, comme je n’en doute pas, te rendant à ma prière, tu as suivi M. le comte de Monsoreau, il a dû te dire que tu avais eu le malheur de plaire au duc d’Anjou, et que c’était ce prince qui t’avait fait enlever et conduire au château de Beaugé ; juge par cette violence ce dont le duc est capable, et quelle est la honte qui te menace. Eh bien ! cette honte, à laquelle je ne survivrais pas, il y a un moyen d’y échapper : c’est d’épouser notre noble ami ; une fois comtesse de Monsoreau, c’est sa femme que le comte défendra, et par tous les moyens il m’a juré de te défendre. Mon désir est donc, ma fille chérie, que ce mariage ait lieu le plus tôt possible, et, si tu accèdes à mes désirs, à mon consentement bien positif je joins ma bénédiction paternelle, et prie Dieu qu’il veuille bien t’accorder tous les trésors de bonheur que son amour tient en réserve pour les cœurs pareils au tien.
— Hélas ! dit Bussy, si cette lettre est bien de votre père, madame, elle n’est que trop positive.
— Elle est de lui, et je n’ai aucun doute à en faire ; néanmoins je la relus trois fois avant de prendre aucune décision. Enfin, j’appelai le comte.
Il entra aussitôt : ce qui me prouva qu’il attendait à la porte.
Je tenais la lettre à la main.
— Eh bien, me dit-il, vous avez lu ?
— Oui, répondis-je.
— Doutez-vous toujours de mon dévouement et de mon respect ?
— J’en eusse douté, monsieur, répondis-je, que cette lettre m’eût imposé la croyance qui me manquait. Maintenant, voyons, monsieur, en supposant que je sois disposée à céder aux conseils de mon père, que comptez-vous faire ?
— Je compte vous mener à Paris, mademoiselle ; c’est encore là qu’il est le plus facile de vous cacher.
— Et mon père ?