cheur endurci, es-tu bien décidé à persévérer dans tes iniquités ?
— Ah ! vraiment, vraiment, vraiment, dit Chicot ; mais la voix de Dieu ressemble assez à celle de ton peuple, ce me semble.
— Puis, reprit le roi, suivirent mille autres reproches qui, je vous le proteste, Chicot, m’ont été bien cruels.
— Mais encore, dit Chicot, continue un peu, mon fils, raconte, raconte ce que disait la voix, que je sache si Dieu était bien instruit.
— Impie ! s’écria le roi, si tu doutes, je te ferai châtier.
— Moi ! dit Chicot, je ne doute pas : ce qui m’étonne seulement, c’est que Dieu ait attendu jusque aujourd’hui pour te faire tous ces reproches-là. Il est devenu bien patient depuis le déluge. En sorte, mon fils, continua Chicot, que tu as eu une peur effroyable ?
— Oh ! oui, dit Henri.
— Il y avait de quoi.
— La sueur me coulait le long des tempes, et la moelle était figée au cœur de mes os.
— Comme dans Jérémie, c’est tout naturel ; je ne sais, ma parole de gentilhomme, ce qu’à ta place je n’eusse pas fait ; et alors tu as appelé ?
— Oui.
— Et l’on est venu ?
— Oui.
— Et a-t-on bien cherché ?
— Partout.
— Pas de bon Dieu ?
— Tout s’était évanoui.
— À commencer par le roi Henri. C’est effrayant.
— Si effrayant, que j’ai appelé mon confesseur.
— Ah ! bon ; il est accouru.
— À l’instant même.
— Voyons un peu, sois franc, mon fils, dis la vérité, contre ton ordinaire. Que pense-t-il de cette révélation-là, ton confesseur ?
— Il a frémi.
— Je crois bien.
— Il s’est signé ; il m’a ordonné de me repentir, comme Dieu me le prescrivait.
— Fort bien ! il n’y a jamais de mal à se repentir. Mais de la vision en elle-même, ou plutôt de l’audition, qu’en a-t-il dit ?
— Qu’elle était providentielle ; que c’était un miracle, qu’il me fallait songer au salut de l’État. Aussi ai-je, ce matin….
— Qu’as-tu fait ce matin, mon fils ?
— J’ai donné cent mille livres aux jésuites.
— Très bien.
— Et haché à coups de discipline ma peau et celle de mes jeunes seigneurs.
— Parfait ! Mais ensuite ?
— Eh bien, ensuite. Que penses-tu, Chicot ? Ce n’est pas au rieur que je parle, c’est à l’homme de sang-froid, à l’ami.
— Ah ! sire, dit Chicot sérieux, je pense que Votre Majesté a eu le cauchemar.
— Tu crois ?
— Que c’est un rêve que Votre Majesté a fait, et qu’il ne se renouvellera pas si Votre Majesté ne se frappe pas trop l’esprit.
— Un rêve ? dit Henri en secouant la tête. Non, non ; j’étais bien éveillé, je t’en réponds, Chicot.
— Tu dormais, Henri.
— Je dormais si peu, que j’avais les yeux tout grands ouverts.
— Je dors comme cela, moi.
— Oui, mais avec mes yeux je voyais, ce qui n’arrive pas quand on dort réellement.
— Et que voyais-tu ?
— Je voyais la lune aux vitres de ma chambre, et je regardais l’améthyste qui est au pommeau de mon épée briller là où vous êtes, Chicot, d’une lumière sombre.
— Et la lampe qu’était-elle devenue ?
— Elle s’était éteinte.
— Rêve, cher fils, pur rêve !
— Pourquoi n’y crois-tu pas, Chicot ? N’est-il pas dit que le Seigneur parle aux rois quand il veut opérer quelque grand changement sur la terre ?
— Oui, il leur parle, c’est vrai, dit Chicot, mais si bas, qu’ils ne l’entendent jamais.
— Mais qui te rend donc si incrédule ?
— C’est que tu aies si bien entendu.
— Eh bien, comprends-tu pourquoi je t’ai fait rester ? dit le roi.
— Parbleu ! répondit Chicot.
— C’est pour que tu entendes toi-même ce que dira la voix.
— Pour qu’on croie que je dis quelque bouffonnerie si je répète ce que j’ai entendu. Chicot est si nul, si chétif, si fou, que, le dît-il à chacun, personne ne le croira. Pas mal joué, mon fils.
— Pourquoi ne pas croire plutôt, mon ami, dit le roi, que c’est à votre fidélité bien connue que je confie ce secret ?
— Ah ! ne mens pas, Henri ; car, si la voix vient, elle te reprochera ce mensonge, et tu as bien assez de tes autres iniquités. Mais n’importe ! j’accepte la commission. Je ne suis pas fâché d’entendre la voix du Seigneur ; peut-être dira-t-elle aussi quelque chose pour moi.
— Eh bien, que faut-il faire ?
— Il faut te coucher, mon fils.
— Mais si, au contraire…
— Pas de mais.
— Cependant…
— Crois-tu par hasard que tu empêcheras la voix de Dieu de parler, parce que tu resteras debout ? Un roi ne dépasse les autres hommes que de la hauteur de la couronne, et, quand il est tête nue, crois-moi, Henri, il est de même taille et quelquefois plus petit qu’eux.
— C’est bien, dit le roi, tu restes ?
— C’est convenu.
— Eh bien, je vais me coucher.
— Bon !
— Mais tu ne te coucheras pas, toi.
— Je n’aurai garde.
— Seulement, je n’ôte que mon pourpoint.
— Fais à ta guise.
— Je garde mon haut-de-chausses.
— La précaution est bonne.
— Et toi ?
— Moi, je reste où je suis.
— Et tu ne dormiras pas ?
— Ah ! pour cela, je ne puis pas te le promettre ; le sommeil est, comme la peur, mon fils, une chose indépendante de la volonté.
— Tu feras ce que tu pourras, au moins ?
— Je me pincerai, sois tranquille ; d’ailleurs, la voix me réveillera.
— Ne plaisante pas avec la voix, dit Henri, qui avait déjà une jambe dans le lit et qui la retira.
— Allons donc ! dit Chicot ; faudra-t-il que je te couche ?
Le roi poussa un soupir, et, après avoir avec inquiétude sondé du regard tous les coins et tous les recoins de la chambre, il se glissa tout frissonnant dans son lit.
— Là ! fit Chicot, à mon tour.
Et il s’étendit dans son fauteuil, arrangeant tout autour de lui et derrière lui les coussins et les oreillers.
— Comment vous trouvez-vous, sire ?
— Pas mal, dit le roi, et toi ?
— Très bien ; bonsoir, Henri.
— Bonsoir, Chicot ; mais ne t’endors pas.
— Peste ! je n’en ai garde, dit Chicot en bâillant à se démonter la mâchoire.
Et tous deux fermèrent les yeux, le roi pour faire semblant de dormir, Chicot pour dormir réellement.