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— Mes frères, dit-il, une troupe de gens armés se porte au-devant du portail.

— On vient le chercher, dit la duchesse.

— Raison de plus pour qu’il signe vite, dit le cardinal.

— Signe ! Valois, signe ! cria Gorenflot d’une voix de tonnerre.

— Vous m’avez donné jusqu’à minuit, dit pitoyablement le roi.

— Oh ! tu te ravises parce que tu crois être secouru…

— Sans doute, j’ai une chance.

— Pour mourir s’il ne signe aussitôt, répliqua la voix aigre et impérieuse de la duchesse.

Gorenflot saisit le poignet du roi et lui offrit une plume.

Le bruit redoublait au dehors.

— Une nouvelle troupe ! vint dire un moine ; elle entoure le parvis et le cerne à gauche.

— Allons ! crièrent impatiemment Mayenne et la duchesse.

Le roi trempa la plume dans l’encre.

— Les Suisses ! accourut dire Foulon ; ils envahissent le cimetière à droite. Toute l’abbaye est cernée présentement.

— Eh bien ! nous nous défendrons, répliqua résolument Mayenne. Avec un otage comme celui-là, une place n’est jamais prise à discrétion.

— Il a signé ! hurla Gorenflot en arrachant le papier des mains de Henri, qui, abattu, enfouit sa tête dans son capuchon et son capuchon dans ses deux bras.

— Alors nous sommes roi, dit le cardinal au duc. Emporte vite ce précieux papier.

Le roi, dans son accès de douleur, renversa la petite lampe qui seule éclairait cette scène ; mais le duc de Guise tenait déjà le parchemin.

— Que faire ! que faire ! vint demander un moine sous le froc duquel se dessinait un gentilhomme bien complet, bien armé. Crillon arrive avec les gardes françaises, et menace de briser les portes. Écoutez !…

— Au nom du roi ! cria la voix puissante de Crillon.

— Bon ! il n’y a plus de roi, répliqua Gorenflot par une fenêtre.

— Qui dit cela, maraud ? répondit Crillon.

— Moi ! moi ! moi ! fit Gorenflot dans les ténèbres, avec un orgueil des plus provocateurs.

— Qu’on tâche de m’apercevoir ce drôle et de lui planter quelques balles dans le ventre, dit Crillon.

Et Gorenflot, voyant les gardes apprêter leurs armes, fit le plongeon aussitôt et retomba sur son derrière au milieu de la cellule.

— Enfoncez la porte, mons Crillon, dit au milieu du silence général, une voix qui fit dresser les cheveux à tous les moines faux ou vrais qui attendaient dans le corridor.

Cette voix était celle d’un homme qui, sorti des rangs, s’était avancé jusqu’aux marches de l’abbaye.

— Voilà, sire, répliqua Crillon en déchargeant dans la porte principale un vigoureux coup de hache.

Les murs en gémirent.

— Que veut-on ?… dit le prieur, paraissant tout tremblant à la fenêtre.

— Ah ! c’est vous, messire Foulon, dit la même voix hautaine et calme. Rendez-moi donc mon fou, qui est allé passer la nuit dans une de vos cellules. J’ai besoin de Chicot ; je m’ennuie au Louvre.

— Et moi, je m’amuse joliment, va, mon fils, répliqua Chicot se dégageant de son capuchon et fendant la foule des moines, qui s’écartèrent avec un hurlement d’effroi.

À ce moment, le duc de Guise, qui s’était fait apporter une lampe, lisait au bas de l’acte la signature encore fraîche obtenue avec tant de peine :

CHICOT Ier

— Moi, Chicot Ier ! s’écria-t-il ; mille damnations !

— Allons, dit le cardinal, nous sommes perdus ; fuyons.

— Ah ! bah ! fit Chicot en distribuant à Gorenflot, presque évanoui, des coups de la corde qu’il portait à sa ceinture ; ah ! bah !


CHAPITRE LXXXIX.

LES INTÉRÊTS ET LE CAPITAL.


À mesure que le roi avait parlé, à mesure que les conjurés l’avaient reconnu, ils étaient passés de la stupeur à l’épouvante.

L’abdication, signée Chicot Ier, avait changé l’épouvante en rage.

Chicot rejeta son froc sur ses épaules, croisa les bras, et tandis que Gorenflot fuyait à toutes jambes, il soutint, immobile et souriant, le premier choc.

Ce fut un terrible moment à passer. Les gentilshommes, furieux, s’avancèrent sur le Gascon, bien déterminés à se venger de la cruelle mystification dont ils étaient victimes.

Mais cet homme sans armes, la poitrine couverte de ses deux bras seulement, ce visage au masque railleur qui semblait défier tant de force de s’attaquer à tant de faiblesse, les arrêta plus encore peut-être que les remontrances du cardinal, lequel leur faisait observer que la mort de Chicot ne servirait à rien, mais, tout au contraire, serait vengée terriblement par le roi, de complicité avec son fou dans cette scène de terrible bouffonnerie.

Il en résulta que les dagues et les rapières s’abaissèrent devant Chicot, qui, soit dévouement, — et il en était capable, — soit pénétration de leur pensée, continua de leur rire au nez.

Cependant les menaces du roi devenaient plus pressantes et les coups de hache de Crillon plus pressés. Il était évident que la porte ne pouvait résister longtemps à une pareille attaque, qu’on n’essayait pas même de repousser.

Aussi, après un moment de délibération, le duc de Guise donna-t-il l’ordre de la retraite.

Cet ordre fit sourire Chicot.

Pendant les nuits de retraite avec Gorenflot, il avait examiné le souterrain, il avait reconnu la porte de sortie, et il avait dénoncé cette porte au roi, qui y avait placé Tocquenot, lieutenant des gardes suisses.

Il était donc évident que les ligueurs, les uns après les autres, allaient se jeter dans la gueule du loup.

Le cardinal s’éclipsa le premier, suivi d’une vingtaine de gentilshommes. Alors Chicot vit passer le duc avec un pareil nombre à peu près de moines ; puis Mayenne, à qui sa difficulté de courir, à cause de son énorme ventre et de son épaisse encolure, avait tout naturellement fait confier le soin de la retraite.

Quand M. de Mayenne passa le dernier devant la cellule de Gorenflot et que Chicot le vit se traîner alourdi par sa masse, Chicot ne souriait plus, il se tenait les côtes de rire.

Dix minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles Chicot prêta l’oreille, croyant toujours entendre le bruit des ligueurs refoulés dans le souterrain ; mais, à son grand étonnement, le bruit, au lieu de revenir à lui, continuait de s’éloigner.

Tout à coup une pensée vint au Gascon, qui changea ses éclats de rire en grincements de dents. Le temps s’écoulant, les ligueurs ne revenaient pas ; les ligueurs s’étaient-ils aperçus que la porte était gardée, et avaient-ils découvert une autre sortie ?

Chicot allait s’élancer hors de la cellule, quand tout à coup la porte en fut obstruée par une masse informe qui se vautra à ses pieds en s’arrachant des poignées de cheveux tout autour de la tête.

— Ah ! misérable que je suis ! s’écriait le moine. Oh ! mon bon seigneur Chicot, pardonnez-moi ! pardonnez-moi !

Comment Gorenflot, qui était parti le premier, revenait-il seul quand déjà il eût dû être bien loin ?

Voilà la question qui se présenta tout naturellement à la pensée de Chicot.

— Oh ! mon bon monsieur Chicot, cher seigneur, à moi ! continuait de hurler Gorenflot ; pardonnez à votre indigne ami, qui se repent et fait amende honorable à vos genoux.

— Mais, demanda Chicot, comment ne t’es-tu pas enfui avec les autres, drôle ?