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temps une grande procession aux principaux couvents de Paris.

— C’est son habitude de faire tous les ans pareille procession à pareille époque.

— Alors, comme Votre Altesse se le rappelle, le roi est sans gardes, ou du moins les gardes restent à la porte. Le roi s’arrête devant chaque reposoir, il s’y agenouille, y dit cinq Pater et cinq Ave, le tout accompagné des sept psaumes de la pénitence.

— Je sais tout cela.

— Il ira à l’abbaye Sainte-Geneviève comme aux autres.

— Sans contredit.

— Seulement, comme un accident sera arrivé en face du couvent…

— Un accident ?

— Oui, un égout se sera enfoncé pendant la nuit.

— Eh bien ?

— Le reposoir ne pourra être sous le porche, il sera dans la cour même.

— J’écoute.

— Attendez donc : le roi entrera, quatre ou cinq personnes entreront avec lui ; mais derrière le roi et ces quatre ou cinq personnes, on fermera les portes.

— Et alors ?

— Alors, reprit Monsoreau, Votre Altesse connaît les moines qui feront les honneurs de l’abbaye à Sa Majesté !

— Ce seront les mêmes ?

— Qui étaient là quand on a sacré Votre Altesse, justement.

— Ils oseront porter la main sur l’oint du Seigneur ?

— Oh ! pour le tondre, voilà tout : vous connaissez ce quatrain :

De trois couronnes, la première
Tu perdis, ingrat et fuyard ;
La seconde court grand hasard ;
Des ciseaux feront la dernière.

— On osera faire cela ? s’écria le duc l’œil brillant d’avidité ; on touchera un roi à la tête ?

— Oh ! il ne sera plus roi alors.

— Comment cela ?

— N’avez-vous pas entendu parler d’un frère génovéfain, d’un saint homme qui fait des discours en attendant qu’il fasse des miracles ?

— De frère Gorenflot ?

— Justement.

— Le même qui voulait prêcher la Ligue l’arquebuse sur l’épaule ?

— Le même.

— Eh bien ! on conduira le roi dans sa cellule ; une fois là, le frère se charge de lui faire signer son abdication, puis, quand il aura abdiqué, madame de Montpensier entrera les ciseaux à la main. Les ciseaux sont achetés, madame de Montpensier les porte pendus à son côté. Ce sont de charmants ciseaux d’or massif, et admirablement ciselés : à tout seigneur, tout honneur.

François demeura muet ; son œil faux s’était dilaté comme celui d’un chat qui guette sa proie dans l’obscurité.

— Vous comprenez le reste, monseigneur, continua le comte. On annonce au peuple que le roi, éprouvant un saint repentir de ses fautes, a exprimé le vœu de ne plus sortir du couvent ; si quelques-uns doutent que la vocation soit réelle, M. le duc de Guise tient l’armée, M. le cardinal tient l’Église, M. de Mayenne tient la bourgeoisie ; avec ces trois pouvoirs-là on fait croire au peuple à peu près tout ce que l’on veut.

— Mais on m’accusera de violence, dit le duc, après un instant.

— Vous n’êtes pas tenu de vous trouver là.

— On me regardera comme un usurpateur.

— Monseigneur oublie l’abdication.

— Le roi refusera.

— Il paraît que frère Gorenflot est non seulement un homme très capable, mais encore un homme très fort.

— Le plan est donc arrêté ?

— Tout à fait.

— Et l’on ne craint pas que je le dénonce ?

— Non, monseigneur, car il y en a un autre, non moins sûr, arrêté contre vous, dans le cas où vous trahiriez.

— Ah ! ah ! dit François.

— Oui, monseigneur, et celui-là, je ne le connais pas ; on me sait trop votre ami pour me l’avoir confié. Je sais qu’il existe, voilà tout.

— Alors je me rends, comte ; que faut-il faire ?

— Approuver.

— Eh bien, j’approuve.

— Oui, mais cela ne suffit point de l’approuver de paroles.

— Comment donc faut-il l’approuver encore ?

— Par écrit.

— C’est une folie que de supposer que je consentirai à cela.

— Et pourquoi ?

— Si la conjuration avorte.

— Justement, c’est pour le cas où elle avorterait qu’on demande la signature de monseigneur.

— On veut donc se faire un rempart de mon nom ?

— Pas autre chose.

— Alors je refuse mille fois.

— Vous ne pouvez plus.

— Je ne peux plus refuser ?

— Non.

— Êtes-vous fou ?

— Refuser, c’est trahir.

— En quoi ?

— En ce que je ne demandais pas mieux que de faire, et que c’est Votre Altesse qui m’a ordonné de parler.

— Eh bien ! soit ; que ces messieurs le prennent comme ils voudront ; j’aurai choisi mon danger, au moins.

— Monseigneur, prenez garde de mal choisir.

— Je risquerai, dit François un peu ému, mais essayant néanmoins de conserver sa fermeté.

— Dans votre intérêt, monseigneur, dit le comte, je ne vous le conseille pas.

— Mais je me compromets en signant.

— En refusant de signer, vous faites bien pis, vous vous assassinez !

François frissonna.

— On oserait ? dit-il.

— On osera tout, monseigneur. Les conspirateurs sont trop avancés ; il faut qu’ils réussissent à quelque prix que ce soit.

Le duc tomba dans une indécision facile à comprendre.

— Je signerai, dit-il.

— Quand cela ?

— Demain.

— Non, monseigneur, si vous signez, il faut signer tout de suite.

— Mais encore faut-il que MM. de Guise rédigent l’engagement que je prends vis-à-vis d’eux.

— Il est tout rédigé, monseigneur, je l’apporte.

Monsoreau tira un papier de sa poche : c’était une adhésion pleine et entière au plan que nous connaissons.

Le duc le lut d’un bout à l’autre, et, à mesure qu’il lisait, le comte pouvait le voir pâlir ; lorsqu’il eut fini, les jambes lui manquèrent, et il s’assit ou plutôt il tomba devant la table.

— Tenez, monseigneur, dit Monsoreau en lui présentant la plume.

— Il faut donc que je signe ? dit François en appuyant la main sur son front, car la tête lui tournait.

— Il le faut si vous le voulez, personne ne vous y force.

— Mais si, l’on me force, puisque vous me menacez d’un assassinat.

— Je ne vous menace pas, monseigneur, Dieu m’en garde, je vous préviens ; c’est bien différent.