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Monsoreau, tout pensif à ces nouvelles, pria Bussy de se pencher vers lui, et lui dit à l’oreille :

— Il y a encore des projets sous jeu, n’est-ce pas ?

— Je le crois, répliqua Bussy.

— Croyez-moi, dit Monsoreau, ne vous compromettez pas pour ce vilain homme ; je le connais, il est perfide : je vous réponds qu’il n’hésite jamais au bord d’une trahison.

— Je le sais, dit Bussy avec un sourire qui rappela au comte la circonstance dans laquelle lui, Bussy, avait souffert de cette trahison du duc.

— C’est que voyez-vous, dit Monsoreau, vous êtes mon ami, et je veux vous mettre en garde. Au surplus, chaque fois que vous aurez une position difficile, demandez-moi conseil.

— Monsieur ! monsieur ! il faut dormir après le pansement, dit Remy ; allons, dormez !

— Oui, cher docteur. Mon ami, faites donc un tour de promenade avec madame de Monsoreau, dit le comte. On dit que le jardin est charmant cette année.

— À vos ordres, répondit Bussy.


CHAPITRE LXXVIII.

LES PRÉCAUTIONS DE M. DE MONSOREAU.


Saint-Luc avait raison, Jeanne avait raison ; au bout de huit jours, Bussy s’en était aperçu et leur rendait pleinement justice.

Être un homme d’autrefois eût été grand et beau pour la postérité ; mais c’était n’être plus qu’un vieil homme, et Bussy, oublieux de Plutarque, qui avait cessé d’être son auteur favori depuis que l’amour l’avait corrompu, Bussy, beau comme Alcibiade, ne se souciant plus que du présent, se montrait désormais peu friand d’un article d’histoire près de Scipion ou de Bayard en leur jour de continence.

Diane était plus simple, plus nature, comme on dit aujourd’hui. Elle se laissait aller aux deux instincts que le misanthrope Figaro reconnaît innés dans l’espèce : aimer et tromper. Elle n’avait jamais eu l’idée de pousser jusqu’à la spéculation philosophique ses opinions sur ce que Charron et Montaigne appellent l’honneste.

— Aimer Bussy, c’était sa logique, — n’être qu’à Bussy, c’était sa morale, — frissonner de tout son corps au simple contact de sa main effleurée, c’était sa métaphysique.

M. de Monsoreau, — il y avait déjà quinze jours que l’accident lui était arrivé, — M. de Monsoreau, disons-nous, se portait de mieux en mieux. Il avait évité la fièvre, grâce aux applications d’eau froide, ce nouveau remède que le hasard ou la Providence avait découvert à Ambroise Paré, quand il éprouva tout à coup une grande secousse : il apprit que M. le duc d’Anjou venait d’arriver à Paris avec la reine-mère et ses Angevins.

Le comte avait raison de s’inquiéter : car, le lendemain de son arrivée, le prince, sous prétexte de venir prendre de ses nouvelles, se présenta dans son hôtel de la rue des Petits-Pères : il n’y a pas moyen de fermer sa porte à une Altesse royale qui vous donne une preuve d’un si tendre intérêt. M. de Monsoreau reçut le prince, et le prince fut charmant pour le grand veneur, et surtout pour sa femme.

Aussitôt le prince sorti, M. de Monsoreau appela Diane, s’appuya sur son bras, et, malgré les cris de Remy, fit trois fois le tour de son fauteuil.

Après quoi il se rassit dans ce même fauteuil autour duquel il venait, comme nous l’avons dit, de tracer une triple ligne de circonvallation ; il avait l’air très satisfait, et Diane devina à son sourire qu’il méditait quelque sournoiserie.

Mais ceci rentre dans l’histoire privée de la maison de Monsoreau. Revenons donc à l’arrivée de M. le duc d’Anjou, laquelle appartient à la partie épique de ce livre.

Ce ne fut pas, comme on le pense bien, un jour indifférent aux observateurs, que le jour où Monseigneur François de Valois fit sa rentrée au Louvre. Voici ce qu’ils remarquèrent :

Beaucoup de morgue de la part du roi.

Une grande tiédeur de la part de la reine-mère.

Et une humble insolence de la part de M. le duc d’Anjou, qui semblait dire :

— Pourquoi diable me rappelez-vous, si vous me faites, quand j’arrive, cette fâcheuse mine ?

Toute cette réception était assaisonnée des regards rutilants, flamboyants, dévorants, de MM. de Livarot, de Ribérac et d’Antraguet, lesquels, prévenus par Bussy, étaient bien aises de faire comprendre à leurs futurs adversaires que, s’il y avait empêchement au combat, cet empêchement, pour sûr, ne viendrait pas de leur part.

Chicot, ce jour-là, fit plus d’allées et de venues que César la veille de la bataille de Pharsale.

Puis tout rentra dans le calme plat.

Le surlendemain de sa rentrée au Louvre, le duc d’Anjou vint faire une seconde visite au blessé.

Monsoreau, instruit des moindres particularités de l’entrevue du roi avec son frère, caressa du geste et de la voix M. le duc d’Anjou, pour l’entretenir dans les plus hostiles dispositions.

Puis, comme il allait de mieux en mieux, quand le duc fut parti, il reprit le bras de sa femme, et, au lieu de faire trois fois le tour de son fauteuil, il fit une fois le tour de sa chambre.

Après quoi il se rassit d’un air encore plus satisfait que la première fois.

Le même soir, Diane prévint Bussy que M. de Monsoreau méditait bien certainement quelque chose.

Un instant après, Monsoreau et Bussy se trouvèrent seuls.

— Quand je pense, dit Monsoreau à Bussy, que ce prince, qui me fait si bonne mine, est mon ennemi mortel, et que c’est lui qui m’a fait assassiner par M. de Saint-Luc !

— Oh ! assassiner ! dit Bussy ; prenez garde, monsieur le comte, Saint-Luc est bon gentilhomme, et vous avouez vous-même que vous l’aviez provoqué, que vous aviez tiré l’épée le premier, et que vous avez reçu le coup en combattant.

— D’accord, mais il n’en est pas moins vrai qu’il obéissait aux instigations du duc d’Anjou.

— Écoutez, dit Bussy, je connais le duc, et surtout je connais M. de Saint-Luc ; je dois vous dire que M. de Saint-Luc est tout entier au roi, et pas du tout au prince. Ah ! si votre coup d’épée vous venait d’Antraguet, de Livarot ou de Ribérac, je ne dis pas… mais de Saint-Luc…

— Vous ne connaissez pas l’histoire de France comme je la connais, mon cher monsieur de Bussy, dit Monsoreau obstiné dans son opinion.

Bussy eût pu lui répondre que s’il connaissait mal l’histoire de France, il connaissait en échange parfaitement celle de l’Anjou, et surtout de la partie de l’Anjou où était enclavé Méridor.

Enfin Monsoreau en vint à se lever et à descendre dans le jardin.

— Cela me suffit, dit-il en remontant. Ce soir, nous déménagerons.

— Pourquoi cela ? dit Remy. Est-ce que vous n’êtes pas en bon air dans la rue des Petits-Pères, ou la distraction vous manque-t-elle ?

— Au contraire, dit Monsoreau, j’en ai trop, de distractions ; M. d’Anjou me fatigue avec ses visites. Il amène toujours avec lui une trentaine de gentilshommes, et le bruit de leurs éperons m’agace horriblement les nerfs.

— Mais où allez-vous ?

— J’ai ordonné qu’on mît en état ma petite maison des Tournelles.

Bussy et Diane, car Bussy était toujours là, échangèrent un regard amoureux de souvenir.

— Comment, cette bicoque ! s’écria étourdiment Remy.

— Ah ! ah ! vous la connaissez ? fit Monsoreau.

— Pardieu ! dit le jeune homme, qui ne connaît pas les habitations de M. le grand veneur de France, et surtout quand on a demeuré rue Beautreillis ?

Monsoreau par l’habitude roula quelque vague soupçon dans son esprit.