parfaitement organisés éprouvent tout d’abord à la moindre apparence d’un malheur même étranger.
— Mourir ! quand on a votre âge, votre maîtresse et votre nom !
— Oui ! j’en tuerai, je suis sûr, quatre, et je recevrai un bon coup qui me tranquillisera éternellement.
— Des idées noires ! Bussy.
— Je voudrais bien vous y voir, vous. Un mari qu’on croyait mort et qui revient ; une femme qui ne peut plus quitter le chevet du lit de ce prétendu moribond ; ne jamais se sourire, ne jamais se parler, ne jamais se toucher la main. Mordieu ! je voudrais bien avoir quelqu’un à écharper…
Saint-Luc répondit à cette sortie par un éclat de rire qui fit envoler toute une volée de moineaux qui picotaient les sorbiers du petit jardin du Louvre.
— Ah ! s’écria-t-il, que voilà un homme innocent ! Dire que les femmes aiment ce Bussy, un écolier ! Mais mon cher, vous perdez le sens : il n’y a pas d’amant aussi heureux que vous sur la terre.
— Ah ! fort bien ; prouvez-moi un peu cela, vous, homme marié !
— Nihil facilius, comme disait le jésuite Triquet, mon pédagogue ; vous êtes l’ami de M. de Monsoreau ?
— Ma foi ! j’en ai honte pour l’honneur de l’intelligence humaine. Ce butor m’appelle son ami.
— Eh bien, soyez son ami.
— Oh !… abuser de ce titre.
— Prorsus absurdum ! disait toujours Triquet. Est-il vraiment votre ami ?
— Mais il le dit.
— Non, puisqu’il vous rend malheureux. Or le but de l’amitié est de faire que les hommes soient heureux l’un par l’autre. Du moins c’est ainsi que Sa Majesté définit l’amitié, et le roi est lettré.
Bussy se mit à rire.
— Je continue, dit Saint-Luc. S’il vous rend malheureux, vous n’êtes pas amis ; donc vous pouvez le traiter soit en indifférent, et alors lui prendre sa femme ; soit en ennemi, et le retuer s’il n’est pas content.
— Au fait, dit Bussy, je le déteste.
— Et lui vous craint.
— Vous croyez qu’il ne m’aime pas ?
— Dame, essayez. Prenez-lui sa femme, et vous verrez.
— Est-ce toujours la logique du père Triquet ?
— Non, c’est la mienne.
— Je vous en fais mon compliment.
— Elle vous satisfait ?
— Non. J’aime mieux être homme d’honneur.
— Et laisser madame de Monsoreau guérir moralement et physiquement son mari ? Car enfin, si vous vous faites tuer, il est certain qu’elle s’attachera au seul homme qui lui reste…
Bussy fronça le sourcil.
— Mais, au surplus, ajouta Saint-Luc, voici madame de Saint-Luc, elle est de bon conseil. Après s’être fait un bouquet dans les parterres de la reine mère, elle sera de bonne humeur. Écoutez-la, elle parle d’or.
En effet, Jeanne arrivait radieuse, éblouissante de bonheur et pétillante de malice. Il y a de ces heureuses natures qui font de tout ce qui les environne, comme l’alouette aux champs, un réveil joyeux, un riant augure.
Bussy la salua en ami. Elle lui tendit la main, ce qui prouve bien que ce n’est pas le plénipotentiaire Dubois qui a rapporté cette mode d’Angleterre avec le traité de la quadruple alliance.
— Comment vont les amours ? dit-elle en liant son bouquet avec une tresse d’or.
— Ils se meurent, dit Bussy.
— Bon ! ils sont blessés, et ils s’évanouissent, dit Saint-Luc ; je gage que vous allez les faire revenir à eux, Jeanne.
— Voyons, dit-elle, qu’on me montre la plaie.
— En deux mots, voici, reprit Saint-Luc. M. de Bussy n’aime pas à sourire au comte de Monsoreau, et il a formé le dessein de se retirer.
— Et de lui laisser Diane ? s’écria Jeanne avec effroi.
Bussy, inquiet de cette première démonstration, ajouta :
— Oh ! madame, Saint-Luc ne vous dit pas que je veux mourir.
Jeanne le regarda un moment avec une compassion qui n’était pas évangélique.
— Pauvre Diane ! murmura-t-elle ; aimez donc ! Décidément les hommes sont tous des ingrats !
— Bon ! fit Saint-Luc, voilà la morale de ma femme.
— Ingrat, moi ! s’écria Bussy, parce que je crains d’avilir mon amour en le soumettant aux lâches pratiques de l’hypocrisie.
— Eh ! monsieur, ce n’est là qu’un méchant prétexte, dit Jeanne. Si vous étiez bien épris, vous ne craindriez qu’une sorte d’avilissement, n’être plus aimé.
— Ah ! ah ! fit Saint-Luc, ouvrez votre escarcelle, mon cher.
— Mais, madame, dit affectueusement Bussy, il est des sacrifices tels…
— Plus un mot. Avouez que vous n’aimez plus Diane, ce sera plus digne d’un galant homme.
Bussy pâlit à cette seule idée.
— Vous n’osez pas le dire ; eh bien ! moi, je le lui dirai.
— Madame ! madame !
— Vous êtes plaisants, vous autres, avec vos sacrifices… Et nous, n’en faisons-nous pas, des sacrifices ? Quoi ! s’exposer à se faire massacrer par ce tigre de Monsoreau ; conserver tous ses droits à un homme en déployant une force, une volonté dont Samson et Annibal eussent été incapables ; dompter la bête féroce de Mars pour l’atteler au char de monsieur le triomphateur, ce n’est pas de l’héroïsme ! Oh ! je le jure, Diane est sublime, et je n’eusse pas fait le quart de ce qu’elle fait chaque jour.
— Merci, répondit Saint-Luc avec un salut révérencieux, qui fit éclater Jeanne de rire.
Bussy hésitait.
— Et il réfléchit ! s’écria Jeanne ; il ne tombe pas à genoux, il ne fait pas son mea culpa !
— Vous avez raison, répliqua Bussy, je ne suis qu’un homme, c’est-à-dire une créature imparfaite et inférieure à la plus vulgaire des femmes.
— C’est bien heureux, dit Jeanne, que vous soyez convaincu.
— Que m’ordonnez-vous ?
— Allez tout de suite rendre visite…
— À M. de Monsoreau ?
— Eh ! qui vous parle de cela ?… à Diane.
— Mais ils ne se quittent pas, ce me semble.
— Quand vous alliez voir si souvent madame de Barbezieux, n’avait-elle pas toujours près d’elle ce gros singe qui vous mordait parce qu’il était jaloux ?
Bussy se mit à rire, Saint-Luc l’imita, Jeanne suivit leur exemple ; ce fut un trio d’hilarité qui attira aux fenêtres tout ce qui se promenait de courtisans dans les galeries.
— Madame, dit enfin Bussy, je m’en vais chez M. de Monsoreau. Adieu.
Et sur ce ils se séparèrent, Bussy ayant recommandé à Saint-Luc de ne rien dire de la provocation adressée aux mignons.
Il s’en retourna en effet chez M. de Monsoreau, qu’il trouva au lit.
Le comte poussa des cris de joie en l’apercevant. Remy venait de promettre que sa blessure serait guérie avant trois semaines.
Diane posa un doigt sur ses lèvres : c’était sa manière de saluer.
Il fallut raconter au comte toute l’histoire de la commission dont le duc d’Anjou avait chargé Bussy, la visite à la cour, le malaise du roi, la froide mine des mignons.
Froide mine fut le mot dont se servit Bussy. Diane ne fit qu’en rire.