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res, et voulut partir. Il avait hâte, non point d’arriver à Paris, mais de s’éloigner d’Angers.

De temps en temps, la scène que nous venons de raconter se renouvelait.

Remy disait tout bas :

— Qu’il étouffe de rage, et l’honneur du médecin sera sauvé.

Mais Monsoreau ne mourut pas ; au contraire, au bout de dix jours, il était arrivé à Paris, et il allait sensiblement mieux.

C’était décidément un homme fort habile que Remy, plus habile qu’il ne l’eût voulu lui-même.

Pendant les dix jours qu’avait duré le voyage, Diane avait, à force de tendresses, démoli toute cette grande fierté de Bussy.

Elle l’avait engagé à se présenter chez Monsoreau, et à exploiter l’amitié qu’il lui témoignait.

Le prétexte de la visite était tout simple : la santé du comte.

Remy soignait le mari et remettait les billets à la femme.

— Esculape et Mercure, disait-il, je cumule.


CHAPITRE LXXIV.

COMMENT L’AMBASSADEUR DE M. LE DUC D’ANJOU ARRIVA À PARIS, ET LA RÉCEPTION QUI LUI FUT FAITE.


Cependant, on ne voyait reparaître au Louvre ni Catherine, ni le duc d’Anjou, et la nouvelle d’une dissension entre les deux frères prenait de jour en jour plus d’accroissement et plus d’importance.

Le roi n’avait reçu aucun message de sa mère, et, au lieu de conclure selon le Proverbe : Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, il se disait, au contraire, en secouant la tête :

— Pas de nouvelles, mauvaises nouvelles !

Les mignons ajoutaient :

François, mal conseillé, aura retenu votre mère.

François, mal conseillé ; en effet, toute la politique de ce règne singulier et des trois règnes précédents se réduisait là.

Mal conseillé avait été le roi Charles IX, lorsqu’il avait, sinon ordonné, du moins autorisé la Saint-Barthélemy ; mal conseillé avait été François II, lorsqu’il ordonna le massacre d’Amboise ; mal conseillé avait été Henri II, le père de cette race perverse, lorsqu’il fit brûler tant d’hérétiques et de conspirateurs avant d’être tué par Montgomery, qui lui-même avait été mal conseillé, disait-on, lorsque le bois de sa lance avait si malencontreusement pénétré dans la visière du casque de son roi.

On n’ose pas dire à un roi :

Votre frère a du mauvais sang dans les veines ; il cherche, comme c’est l’usage dans votre famille, à vous détrôner, à vous tondre ou à vous empoisonner ; il veut vous faire à vous ce que vous avez fait à votre frère aîné, ce que votre frère aîné a fait au sien, ce que votre mère vous a tous instruits à vous faire les uns aux autres.

Non, un roi de ce temps-là surtout, un roi du seizième siècle eût pris ces observations pour des injures, car un roi était, en ce temps-là, un homme, et la civilisation seule en a pu faire un fac simile de Dieu, comme Louis XIV, ou un mythe non responsable — comme un roi constitutionnel.

Les mignons disaient donc à Henri III :

— Sire, votre frère est mal conseillé.

Et, comme une seule personne avait à la fois le pouvoir et l’esprit de conseiller François, c’était contre Bussy que se soulevait la tempête, chaque jour plus furieuse et plus près d’éclater.

On en était dans les conseils publics à trouver des moyens d’intimidation, et dans les conseils privés à chercher des moyens d’extermination, lorsque la nouvelle arriva que monseigneur le duc d’Anjou envoyait un ambassadeur.

Comment vint cette nouvelle ? par qui vint-elle ? qui l’apporta ? qui la répandit ?

Il serait aussi facile de dire comment se soulèvent les tourbillons de vent dans l’air, les tourbillons de poussière dans la campagne, les tourbillons de bruit dans les villes.

Il y a un démon qui met des ailes à certaines nouvelles et qui les lâche comme des aigles dans l’espace.

Lorsque celle que nous venons de dire arriva au Louvre, ce fut une conflagration générale. Le roi en devint pâle de colère, et les courtisans, outrant comme d’habitude la passion du maître, se firent livides.

On jura. Il serait difficile de dire tout ce que l’on jura, mais on jura entre autres choses :

Que si c’était un vieillard, cet ambassadeur serait bafoué, berné, embastillé ;

Que si c’était un jeune homme, il serait pourfendu, troué à jour, déchiqueté en petits morceaux, lesquels seraient envoyés à toutes les provinces de France comme un échantillon de la royale colère.

Et les mignons, selon leur habitude, de fourbir leurs rapières, de prendre des leçons d’escrime et de jouer de la dague contre les murailles.

Chicot laissa son épée au fourreau, laissa sa dague dans sa gaîne, et se mit à réfléchir profondément.

Le roi, voyant Chicot réfléchir, se souvint que Chicot avait un jour, dans un point difficile, qui s’était éclairci depuis, été de l’avis de la reine mère, laquelle avait eu raison.

Il comprit donc que dans Chicot était la sagesse du royaume, et il interrogea Chicot.

— Sire, répliqua celui-ci après avoir mûrement réfléchi, ou monseigneur le duc d’Anjou vous envoie un ambassadeur, ou il ne vous en envoie pas.

— Pardieu, dit le roi, c’était bien la peine de te creuser la joue avec le poing pour trouver ce beau dilemme.

— Patience, patience, comme dit, dans la langue de maître Machiavelli, votre auguste mère, que Dieu conserve, patience.

— Tu vois que j’en ai, dit le roi, puisque je t’écoute.

— S’il vous envoie un ambassadeur, c’est qu’il croit pouvoir le faire ; s’il croit pouvoir le faire, lui qui est la prudence en personne, c’est qu’il se sent fort ; s’il se sent fort, il faut le ménager. Respectons les puissances, trompons-les, mais ne jouons pas avec elles ; recevons leur ambassadeur, et témoignons-lui toutes sortes de plaisir de le voir. Cela n’engage à rien. Vous rappelez-vous comment votre frère a embrassé ce bon amiral Coligny qui venait en ambassadeur de la part des huguenots, qui, eux aussi, se croyaient une puissance ?

— Alors tu approuves la politique de mon frère Charles IX ?

— Non pas, entendons-nous, je cite un fait, et j’ajoute : si plus tard nous trouvons moyen, non pas de nuire à un pauvre diable de héraut d’armes, d’envoyé, de commis ou d’ambassadeur, si plus tard nous trouvons moyen de saisir au collet le maître, le moteur, le chef, le très grand et très honoré prince, monseigneur le duc d’Anjou, vrai, seul et unique coupable, avec les trois Guise, bien entendu, et de les claquemurer dans un fort plus sûr que le Louvre, oh ! sire, faisons-le.

— J’aime assez ce prélude, dit Henri III.

— Peste, tu n’es pas dégoûté, mon fils, dit Chicot. Je continue donc.

— Va !

— Mais s’il n’envoie pas d’ambassadeur, pourquoi laisser beugler tous tes amis ?

— Beugler !

— Tu comprends ; je dirais rugir s’il y avait moyen de les prendre pour des lions. Je dis beugler… parce que… Tiens, Henri, cela fait en vérité mal au cœur de voir des gaillards plus barbus que les singes de ta ménagerie jouer, comme des petits garçons, au fantôme, et essayer de faire peur à des hommes en criant : hou ! hou !… Sans compter que, si le duc d’Anjou n’envoie personne, ils s’imagineront que c’est à cause d’eux, et ils se croiront des personnages.

— Chicot, tu oublies que les gens dont tu parles sont mes amis, mes seuls amis.

— Veux-tu que je te gagne mille écus, ô mon roi, dit Chicot.

— Parle.