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— Plaisantez-vous, mon cher monsieur de Saint-Luc ? dit le comte pétrifié.

— Ma foi ! non. Moi, dans le commencement de mon mariage, je faisais de ces choses-là ; pourquoi n’en feriez-vous pas, vous ?

— Allons, vous ne voulez pas me répondre ; avouez cela, cher ami ; mais ne craignez rien… Voyons, aidez-moi, cherchez, c’est un énorme service que j’attends de vous.

Saint-Luc se gratta l’oreille.

— Je ne vois toujours que vous, dit-il.

— Trêve de railleries ; prenez la chose gravement, monsieur, car, je vous en préviens, elle est de conséquence.

— Vous croyez ?

— Mais je vous dis que j’en suis sûr.

— C’est autre chose alors ; et comment vient cet homme ? le savez-vous ?

— Il vient à la dérobée, parbleu.

— Souvent ?

— Je le crois bien : ses pieds sont imprimés dans la pierre molle du mur, regardez plutôt.

— En effet.

— Ne vous êtes-vous donc jamais aperçu de ce que je viens de vous dire ?

— Oh ! fit Saint-Luc, je m’en doutais bien un peu.

— Ah ! voyez-vous, fit le comte haletant ; après ?

— Après, je ne m’en suis pas inquiété ; j’ai cru que c’était vous.

— Mais quand je vous dis que non.

— Je vous crois, mon cher monsieur.

— Vous me croyez ?

— Oui.

— Eh bien ! alors…

— Alors c’est quelque autre.

Le grand-veneur regarda d’un œil presque menaçant Saint-Luc, qui déployait sa plus coquette et sa plus suave nonchalance.

— Ah ! fit-il d’un air si courroucé, que le jeune homme leva la tête.

— J’ai encore une idée, dit Saint-Luc.

— Allons donc !

— Si c’était…

— Si c’était ?

— Non.

— Non ?

— Mais si.

— Parlez.

— Si c’était M. le duc d’Anjou.

— J’y avais bien pensé, reprit Monsoreau ; mais j’ai pris des renseignements ; ce ne pouvait être lui.

— Eh ! eh ! le duc est bien fin.

— Oui, mais ce n’est pas lui.

— Vous me dites toujours que cela n’est pas, dit Saint-Luc, et vous voulez que je vous dise, moi, que cela est.

— Sans doute ; vous qui habitez le château, vous devez savoir…

— Attendez, s’écria Saint-Luc.

— Y êtes-vous ?

— J’ai encore une idée. Si ce n’était ni vous ni le duc, c’était sans doute moi.

— Vous, Saint-Luc ?

— Pourquoi pas ?

— Vous, qui venez à cheval par le dehors du parc, quand vous pouvez venir par le dedans ?

— Eh ! mon Dieu ! je suis un être si capricieux, dit Saint-Luc.

— Vous, qui eussiez pris la fuite en me voyant apparaître au haut du mur ?

— Dame ! on la prendrait à moins.

— Vous faisiez donc mal alors ? dit le comte qui commençait à n’être plus maître de son irritation.

— Je ne dis pas non.

— Mais vous vous moquez de moi, à la fin ! s’écria le comte pâlissant, et voilà un quart d’heure de cela.

— Vous vous trompez, monsieur, dit Saint-Luc en tirant sa montre et en regardant Monsoreau avec une fixité qui fit frissonner celui-ci malgré son courage féroce, il y a vingt minutes.

— Mais vous m’insultez, monsieur, dit le comte.

— Est-ce que vous croyez que vous ne m’insultez pas, vous, monsieur, avec toutes vos questions de sbire ?

— Ah ! j’y vois clair maintenant.

— Le beau miracle ! à dix heures du matin. Et que voyez-vous ? dites.

— Je vois que vous vous entendez avec le traître, avec le lâche que j’ai failli tuer hier.

— Pardieu ! fit Saint-Luc, c’est mon ami.

— Alors, s’il en est ainsi, je vous tuerai à sa place.

— Bah ! dans votre maison ! comme cela, tout à coup ! sans dire gare !

— Croyez-vous donc que je me gênerai pour punir un misérable ? s’écria le comte exaspéré.

— Ah ! monsieur de Monsoreau, répliqua Saint-Luc, que vous êtes donc mal élevé ! et que la fréquentation des bêtes fauves a détérioré vos mœurs ! Fi !…

— Mais vous ne voyez donc pas que je suis furieux ! hurla le comte en se plaçant devant Saint-Luc, les bras croisés et le visage bouleversé par l’expression effrayante du désespoir qui le mordait au cœur.

— Si, mordieu ! je le vois ; et, vrai, la fureur ne vous va pas le moins du monde ; vous êtes affreux à voir comme cela, mon cher monsieur de Monsoreau.

Le comte, hors de lui, mit la main à son épée.

— Ah ! faites attention, dit Saint-Luc, c’est vous qui me provoquez… Je vous prends vous-même à témoin que je suis parfaitement calme.

— Oui, muguet, dit Monsoreau, oui, mignon de couchette, je te provoque.

— Donnez-vous donc la peine de pauser de l’autre côté du mur, monsieur de Monsoreau ; de l’autre côté du mur, nous serons sur un terrain neutre.

— Que m’importe ! s’écria le comte.

— Il m’importe à moi, dit Saint-Luc ; je ne veux pas vous tuer chez vous.

— À la bonne heure ! dit Monsoreau en se hâtant de franchir la brèche.

— Prenez garde ! allez doucement, comte ! Il y a une pierre qui ne tient pas bien ; il faut qu’elle ait été fort ébranlée. N’allez pas vous blesser, au moins ; en vérité, je ne m’en consolerais pas.

Et Saint-Luc se mit à franchir la muraille à son tour.

— Allons ! allons ! hâte-toi, dit le comte en dégainant.

— Et moi qui viens à la campagne pour mon agrément ! dit Saint-Luc se parlant à lui-même ; ma foi, je me serai bien amusé.

Et il sauta de l’autre côté du mur.


CHAPITRE LXV.

COMMENT M. DE SAINT-LUC MONTRA À M. DE MONSOREAU LE COUP QUE LE ROI LUI AVAIT MONTRÉ.


Monsieur de Monsoreau attendait Saint-Luc l’épée à la main, et en faisant des appels furieux avec le pied.

— Y es-tu ? dit le comte.

— Tiens ! fit Saint-Luc, vous n’avez pas pris la plus mauvaise place, le dos au soleil ; ne vous gênez pas.

Monsoreau fit un quart de conversion.

— À la bonne heure ! dit Saint-Luc, de cette façon je verrai clair à ce que je fais.

— Ne me ménage pas, dit Monsoreau, car j’irai franchement.

— Ah ça, dit Saint-Luc, vous voulez donc me tuer absolument ?

— Si je le veux !… oh ! oui… je le veux !

— L’homme propose et Dieu dispose ! dit Saint-Luc en tirant son épée à son tour.

— Tu dis….