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pages, des bois et madame de Monsoreau, oui, messieurs, oui.

— Faites-nous chasser un sanglier, comte, dit le prince.

— Je tâcherai, monseigneur.

— Eh ! pardieu, dit un des gentilshommes angevins, vous tâcherez, voilà une belle réponse ! le bois en foisonne, de sangliers. Si je chassais au vieux taillis, je voudrais, au bout de cinq minutes, en avoir fait lever dix.

Monsoreau pâlit malgré lui ; le vieux taillis était justement cette partie du bois où Roland venait de le conduire.

— Ah ! oui, oui, demain, demain ! s’écrièrent en chœur les gentilshommes.

— Voulez-vous demain, Monsoreau ? demanda le duc.

— Je suis toujours aux ordres de Votre Altesse, répondit Monsoreau ; mais cependant, comme monseigneur daignait le remarquer il n’y a qu’un instant, je suis bien fatigué pour conduire une chasse demain. Puis, j’ai besoin de visiter les environs et de savoir où en sont nos bois.

— Et puis, enfin, laissez-lui voir sa femme, que diable ! dit le duc avec une bonhomie qui convainquit le pauvre mari que le duc était son rival.

— Accordé ! accordé ! crièrent les jeunes gens avec gaieté. Nous donnons vingt-quatre heures à M. de Monsoreau pour faire, dans ses bois, tout ce qu’il a à y faire.

— Oui, messieurs, donnez-les-moi, dit le comte, et je vous promets de les bien employer.

— Maintenant, notre grand-veneur, dit le duc, je vous permets d’aller trouver votre lit. Que l’on conduise M. de Monsoreau à son appartement !

M. de Monsoreau salua et sortit, soulagé d’un grand fardeau, la contrainte.

Les gens affligés aiment la solitude plus encore que les amants heureux.


CHAPITRE LII.

COMMENT CHICOT ET LA REINE-MÈRE SE TROUVANT ÊTRE DU MÊME AVIS, LE ROI SE RANGEA À L’AVIS DE CHICOT ET DE LA REINE-MÈRE.


Henri s’assura que c’était bien le Gascon, qui, non moins attentif qu’Archimède, ne paraissait pas décidé à se retourner, Paris fût-il pris d’assaut.

— Ah ! malheureux, s’écria-t-il d’une voix tonnante, voilà donc comme tu défends ton roi ?

— Je le défends à ma manière, et je crois que c’est la bonne.

— La bonne ! s’écria le roi, la bonne, paresseux !

— Je le maintiens, et je le prouve.

— Je suis curieux de voir cette preuve.

— C’est facile : d’abord, nous avons fait une grande bêtise, mon roi, nous avons fait une immense bêtise.

— En quoi faisant ?

— En faisant ce que nous avons fait.

— Ah ! ah ! fit Henri frappé de la corrélation de ces deux esprits éminemment subtils, et qui n’avaient pu se concerter pour en venir au même résultat.

— Oui, répondit Chicot, tes amis, en criant par la ville : Mort aux Angevins ! et, maintenant que j’y réfléchis, il ne m’est pas bien prouvé que ce soient les Angevins qui aient fait le coup ; tes amis, dis-je, en criant par la ville : Mort aux Angevins ! font tout simplement cette petite guerre civile que MM. de Guise n’ont pas pu faire, et dont ils ont si grand besoin ; et, vois-tu, à l’heure qu’il est, Henri, ou tes amis sont parfaitement morts, ce qui ne me déplairait pas, je l’avoue, mais ce qui t’affligerait, toi ; ou ils ont chassé les Angevins de la ville, ce qui te déplairait fort, à toi, mais ce qui, en échange, réjouirait énormément ce cher M. d’Anjou.

— Mordieu ! s’écria le roi, crois-tu donc que les choses sont déjà si avancées que tu dis là ?

— Si elles ne le sont pas davantage.

— Mais tout cela ne m’explique pas ce que tu fais assis sur cette pierre.

— Je fais une besogne excessivement pressée, mon fils.

— Laquelle ?

— Je trace la configuration des provinces que ton frère va faire révolter contre nous, et je suppute le nombre d’hommes que chacune d’elles pourra fournir à la révolte.

— Chicot ! Chicot ! s’écria le roi, je n’ai donc autour de moi que des oiseaux de mauvais augure !

— Le hibou chante pendant la nuit, mon fils, répondit Chicot, car il chante à son heure. Or le temps est sombre, Henriquet, si sombre, en vérité, qu’on peut prendre le jour pour la nuit, et je te chante ce que tu dois entendre. Regarde !

— Quoi !

— Regarde ma carte géographique, et juge. Voici d’abord l’Anjou, qui ressemble assez à une tartelette ; tu vois ? c’est là que ton frère s’est réfugié ; aussi je lui ai donné la première place, hum ! L’Anjou, bien mené, bien conduit, comme vont le mener et le conduire ton grand veneur Monsoreau et ton ami Bussy, l’Anjou, à lui seul, peut nous fournir, quand je dis nous, c’est à ton frère, l’Anjou peut fournir à ton frère dix mille combattants.

— Tu crois ?

— C’est le minimum ; passons à la Guyenne. La Guyenne, tu la vois, n’est-ce pas ? la voici : c’est cette figure qui ressemble à un veau marchant sur une patte. Ah ! dame ! la Guyenne, il ne faut pas t’étonner de trouver là quelques mécontents ; c’est un vieux foyer de révolte, et à peine les Anglais en sont-ils partis. La Guyenne sera donc enchantée de se soulever, non pas contre toi, mais contre la France. Il faut compter sur la Guyenne pour huit mille soldats. C’est peu ! mais ils seront bien aguerris, bien éprouvés, sois tranquille. Puis, à gauche de la Guyenne, nous avons le Béarn et la Navarre, tu vois ? ces deux compartiments qui ressemblent à un singe sur le dos d’un éléphant. On a fort rogné la Navarre, sans doute ; mais, avec le Béarn, il lui reste encore une population de trois ou quatre cent mille hommes. Suppose que le Béarn et la Navarre, très pressés, bien poussés, bien pressurés par Henriot, fournissent à la Ligue cinq du cent de la population, c’est seize mille hommes. Récapitulons donc : dix mille pour l’Anjou.

Et Chicot continua de tracer des figures sur le sable avec sa baguette.

Ci. 10,000
Huit mille pour la Guyenne, ci. 8,000
Seize mille pour le Béarn et la Navarre, ci. 16,000
Total 34,000

— Tu crois donc, dit Henri, que le roi de Navarre fera alliance avec mon frère ?

— Pardieu !

— Tu crois donc qu’il est pour quelque chose dans sa fuite ?

Chicot regarda Henri fixement.

— Henriquet, dit-il, voilà une idée qui n’est pas de toi.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’elle est trop forte, mon fils.

— N’importe de qui elle est ; je t’interroge, réponds. Crois-tu que Henri de Navarre soit pour quelque chose dans la fuite de mon frère ?

— Eh ! fit Chicot, j’ai entendu du côté de la rue de la Ferronnerie un Ventre-saint-gris ! qui, aujourd’hui que j’y pense, me paraît assez concluant.

— Tu as entendu un Ventre-saint-gris ! s’écria le roi.

— Ma foi, oui, répondit Chicot, je m’en souviens aujourd’hui seulement.

— Il était donc à Paris ?

— Je le crois.

— Et qui peut te le faire croire !

— Mes yeux.

— Tu as vu Henri de Navarre ?

— Oui.

— Et tu n’es pas venu me dire que mon ennemi était venu me braver jusque dans ma capitale !

— On est gentilhomme ou on ne l’est pas, fit Chicot.

— Après ?