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— Monseigneur, vous avez aujourd’hui une justesse et une vigueur de pensées !… Levez-vous et visitons le château.

Le prince appela ses gens ; Bussy profita de ce moment pour sortir.

Il trouva le Haudoin dans les appartements. C’était lui qu’il cherchait.

Il l’emmena dans le cabinet du duc, écrivit un petit mot, entra dans une serre, cueillit un bouquet de roses, roula le billet autour des tiges, passa à l’écurie, sella Roland, mit le bouquet dans la main du Haudoin, et invita le Haudoin à se mettre en selle.

Puis, le conduisant hors de la ville, comme Aman conduisait Mardochée, il le plaça dans une espèce de sentier.

— Là, lui dit-il, laisse aller Roland ; au bout du sentier, tu trouveras la forêt, dans la forêt un parc, autour de ce parc un mur, à l’endroit du mur où Roland s’arrêtera, tu jetteras ce bouquet.

« Celui qu’on attend ne vient pas, disait le billet, parce que celui qu’on n’attendait pas est venu, et plus menaçant que jamais, car il aime toujours. Prenez avec les lèvres et le cœur tout ce qu’il y a d’invisible aux yeux dans ce papier. »

Bussy lâcha la bride à Roland qui partit au galop dans la direction de Méridor.

Bussy revint au palais ducal et trouva le prince habillé.

Quant à Remy, ce fut pour lui l’affaire d’une demi-heure. Emporté comme un nuage par le vent, Remy, confiant dans les paroles de son maître, traversa prés, champs, bois, ruisseaux, collines, et s’arrêta au pied d’un mur à demi dégradé dont le chaperon tapissé de lierres semblait relié par eux aux branches des chênes.

Arrivé là, Remy se dressa sur ses étriers, attacha de nouveau et plus solidement encore qu’il ne l’était le papier au billet, et, poussant un hem ! vigoureux, il lança le bouquet par-dessus le mur.

Un petit cri qui retentit de l’autre côté lui apprit que le message était arrivé à bon port.

Remy n’avait plus rien à faire, car on ne lui avait pas demandé de réponse.

Il tourna donc du côté par lequel il était venu, la tête du cheval, qui se disposait à prendre son repas aux dépens de la glandée, et qui témoigna un vif mécontentement d’être dérangé dans ses habitudes ; mais Remy fit une sérieuse application de l’éperon et de la cravache. Roland sentit son tort et repartit de son train habituel.

Quarante minutes après il se reconnaissait dans sa nouvelle écurie, comme il s’était reconnu dans le hallier, et il venait prendre de lui-même sa place au râtelier bien garni de foin et à la mangeoire regorgeant d’avoine.

Bussy visitait le château avec le prince.

Remy le joignit au moment où il examinait un souterrain conduisant à une poterne.

— Eh bien ! demanda-t-il à son messager, qu’as-tu vu ? qu’as-tu entendu ? qu’as-tu fait ?

— Un mur, un cri, sept lieues, répondit Remy avec le laconisme d’un de ces enfants de Sparte qui se faisaient dévorer le ventre par les renards pour la plus grande gloire des lois de Lycurgue.


CHAPITRE LVIII.

UNE VOLÉE D’ANGEVINS.


Bussy parvint à occuper si bien le duc d’Anjou de ses préparatifs de guerre que pendant deux jours il ne trouva ni le temps d’aller à Méridor ni le temps de faire venir le baron à Angers.

Quelquefois cependant le duc revenait à ses idées de visite. Mais aussitôt Bussy faisait l’empressé, visitait les mousquets de toute la garde, faisait équiper les chevaux en guerre, roulait les canons, les affûts, comme s’il s’agissait de conquérir une cinquième partie du monde.

Ce que voyant Remy, il se mettait à faire de la charpie, à repasser ses instruments, à confectionner ses baumes, comme s’il s’agissait de soigner la moitié du genre humain.

Le duc alors reculait devant l’énormité de pareils préparatifs.

Il va sans dire que, de temps en temps, Bussy, sous prétexte de faire le tour des fortifications extérieures, sautait sur Roland, et, en quarante minutes, arrivait à certain mur, qu’il enjambait d’autant plus lestement qu’à chaque enjambement il faisait tomber quelque pierre, et que le chaperon, croulant sous son poids, devenait peu à peu une brèche.

Quant à Roland, il n’était plus besoin de lui dire où l’on allait, Bussy n’avait qu’à lui lâcher la bride et fermer les yeux.

— Voilà déjà deux jours de gagnés, disait Bussy, j’aurai bien du malheur si d’ici à deux autres jours il ne m’arrive pas un petit bonheur.

Bussy n’avait pas tort de compter sur sa bonne fortune.

Vers le soir du troisième jour, comme on faisait entrer dans la ville un énorme convoi de vivres, produit d’une réquisition frappée par le duc sur ses bons et féaux Angevins ; comme M. d’Anjou, pour faire le bon prince, goûtait le pain noir des soldats et déchirait à belles dents les harengs salés et la morue sèche, on entendit une grande rumeur vers une des portes de la ville.

M. d’Anjou s’informa d’où venait cette rumeur ; mais personne ne put le lui dire.

Il se faisait par là une distribution de coups de manche de pertuisane et de coups de crosse de mousquet à bon nombre de bourgeois attirés par la nouveauté d’un spectacle curieux.

Un homme, monté sur un cheval blanc ruisselant de sueur, s’était présenté à la barrière de la porte de Paris.

Or Bussy, par suite de son système d’intimidation, s’était fait nommer capitaine général du pays d’Anjou, grand-maître de toutes les places, et avait établi la plus sévère discipline, notamment dans Angers. Nul ne pouvait sortir de la ville sans un mot d’ordre, nul ne pouvait y entrer sans ce même mot d’ordre, une lettre d’appel ou un signe de ralliement quelconque.

Toute cette discipline n’avait d’autre but que d’empêcher le duc d’envoyer quelqu’un à Diane sans qu’il le sût, et d’empêcher Diane d’entrer à Angers sans qu’il en fût averti.

Cela paraîtra peut-être un peu exagéré ; mais cinquante ans plus tard Buckingham faisait bien d’autres folies pour Anne d’Autriche.

L’homme et le cheval blanc étaient donc, comme nous l’avons dit, arrivés d’un galop furieux, et ils avaient été donner droit dans le poste.

Mais le poste avait sa consigne. La consigne avait été donnée à la sentinelle ; la sentinelle avait croisé la pertuisane ; le cavalier avait paru s’en inquiéter médiocrement ; mais la sentinelle avait crié : Aux armes ! le poste était sorti, et force avait été d’entrer en explication.

— Je suis Antraguet, avait dit le cavalier, et je veux parler au duc d’Anjou.

— Nous ne connaissons pas Antraguet, avait répondu le chef du poste ; quant à parler au duc d’Anjou, votre désir sera satisfait, car nous allons vous arrêter et vous conduire à Son Altesse.

— M’arrêter ! répondit le cavalier, voilà encore un plaisant maroufle pour arrêter Charles de Balzac d’Entragues, baron de Cuneo et comte de Graville.

— Ce sera pourtant comme cela, dit en ajustant son hausse-col le bourgeois qui avait vingt hommes derrière lui, et qui n’en voyait qu’un seul en face.

— Attendez un peu, mes bons amis, dit Antraguet. Vous ne connaissez pas encore les Parisiens, n’est-ce pas ? eh bien ! je vais vous montrer un échantillon de ce qu’ils savent taire.

— Arrêtons-le ! conduisons-le à monseigneur ! crièrent les miliciens furieux.

— Tout doux, mes petits agneaux, d’Anjou, dit Antraguet, c’est moi qui aurai ce plaisir.

— Que dit-il donc là ? se demandèrent les bourgeois.