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— Maintenant, que vouliez-vous me dire de Diane ? voyons.

— Je voulais vous demander si vous ne comptiez pas venir un peu à Méridor ?

— Mon cher ami, je vous remercie de l’insistance, mais vous savez mes scrupules.

— Je sais tout. À Méridor, vous êtes exposé à rencontrer le Monsoreau, bien qu’il soit à quatre-vingts lieues de nous ; exposé à lui serrer la main, et c’est dur de serrer la main à un homme qu’on voudrait étrangler ; enfin exposé à lui voir embrasser Diane, et c’est dur de voir embrasser la femme qu’on aime.

— Ah ! fit Bussy avec rage, comme vous comprenez bien pourquoi je ne vais pas à Méridor ! Maintenant, cher ami…

— Vous me congédiez ? dit Saint-Luc se méprenant à l’intention de Bussy.

— Non pas ; au contraire, reprit celui-ci, je vous prie de rester, car maintenant c’est à mon tour de vous interroger.

— Faites.

— N’avez-vous donc pas entendu cette nuit le bruit des cloches et des mousquetons ?

— En effet, et nous nous sommes demandé là-bas ce qu’il y avait de nouveau.

— Ce matin, n’avez-vous point remarqué quelque changement en traversant la ville ?

— Quelque chose comme une grande agitation, n’est-ce pas ?

— Oui. J’allais vous demander d’où elle provenait.

— Elle provient de ce que M. le duc d’Anjou vient d’arriver hier, cher ami.

Saint-Luc fit un bond sur sa chaise, comme si on lui eût annoncé la présence du diable.

— Le duc à Angers ! on le disait en prison au Louvre.

— C’est justement parce qu’il était en prison au Louvre qu’il est maintenant à Angers. Il est parvenu à s’évader par une fenêtre, et il est venu se réfugier ici.

— Eh bien ? demanda Saint-Luc.

— Eh bien ! cher ami, dit Bussy, voici une excellente occasion de vous venger des petites persécutions de Sa Majesté. Le prince a déjà un parti, il va avoir des troupes, et nous brasserons quelque chose comme une jolie petite guerre civile.

— Oh ! oh ! fit Saint-Luc.

— Et j’ai compté sur vous pour faire le coup d’épée ensemble.

— Contre le roi ? dit Saint-Luc avec une froideur soudaine.

— Je ne dis pas précisément contre le roi, dit Bussy ; je dis contre ceux qui tireront l’épée contre nous.

— Mon cher Bussy, dit Saint-Luc, je suis venu en Anjou pour prendre l’air de la campagne, et non pas pour me battre contre Sa Majesté.

— Mais laissez-moi toujours vous présenter à monseigneur.

— Inutile, mon cher Bussy ; je n’aime pas Angers, et comptais le quitter bientôt ; c’est une ville ennuyeuse et noire ; les pierres y sont molles comme du fromage, et le fromage y est dur comme de la pierre.

— Mon cher Saint-Luc, vous me rendriez un grand service de consentir à ce que je sollicite de vous : le duc m’a demandé ce que j’étais venu faire ici, et, ne pouvant pas le lui dire, attendu que lui-même a aimé Diane et a échoué près d’elle, je lui ai fait accroire que j’étais venu pour attirer à sa cause tous les gentilshommes du canton ; j’ai même ajouté que j’avais, ce matin, rendez-vous avec l’un d’eux.

— Eh bien ! vous direz que vous avez vu ce gentilhomme, et qu’il demande six mois pour réfléchir.

— Je trouve, mon cher Saint-Luc, s’il faut que je vous le dise, que votre logique n’est pas moins hérissée que la mienne.

— Écoutez, je ne tiens en ce monde qu’à ma femme ; vous ne tenez, vous, qu’à votre maîtresse ; convenons d’une chose : en toute occasion, je défendrai Diane ; en toute occasion, vous défendrez madame de Saint-Luc. Un pacte amoureux, soit, mais pas de pacte politique. Voilà seulement comment nous réussirons à nous entendre.

— Je vois qu’il faut que je vous cède, Saint-Luc, dit Bussy, car, en ce moment, vous avez l’avantage. J’ai besoin de vous, tandis que vous pouvez vous passer de moi.

— Pas du tout, et c’est moi, au contraire, qui réclame votre protection.

— Comment cela ?

— Supposez que les Angevins, car c’est ainsi que vont s’appeler les rebelles, viennent assiéger et mettre à sac Méridor.

— Ah ! diable, vous avez raison, dit Bussy, vous ne voulez pas que les habitants subissent la conséquence d’une prise d’assaut.

Les deux amis se mirent à rire, et, comme on tirait le canon dans la ville, comme le valet de Bussy venait l’avertir que déjà le prince l’avait appelé trois fois, ils se jurèrent de nouveau association extra-politique, et se séparèrent enchantés l’un de l’autre.

Bussy courut au château ducal, où déjà la noblesse affluait de toutes les parties de la province ; l’arrivée du duc d’Anjou avait retenti comme un écho porté sur le bruit du canon, et, à trois ou quatre lieues autour d’Angers, villes et villages étaient déjà soulevés par cette grande nouvelle.

Le gentilhomme se dépêcha d’arranger une réception officielle, un repas, des harangues ; il pensait que tandis que le prince recevrait, mangerait, et surtout haranguerait, il aurait le temps de voir Diane, ne fût-ce qu’un instant. Puis, lorsqu’il eut taillé pour quelques heures de l’occupation au duc, il regagna sa maison, monta son second cheval, et prit au galop le chemin de Méridor.

Le duc, livré à lui-même, prononça de fort beaux discours et produisit un effet merveilleux en parlant de la Ligue, touchant avec discrétion les points qui concernaient son alliance avec les Guise, et se donnant comme un prince persécuté par le roi à cause de la confiance que les Parisiens lui avaient témoignée.

Pendant les réponses et les baise-mains, le duc passait la revue des gentilshommes, notant avec soin ceux qui étaient déjà arrivés, et avec plus de soin ceux qui manquaient encore.

Quand Bussy revint, il était quatre heures de l’après-midi ; il sauta à bas de son cheval et se présenta devant le duc, couvert de sueur et de poussière.

— Ah ! ah ! mon brave Bussy, dit le duc, te voilà à l’œuvre, à ce qu’il paraît.

— Vous voyez, monseigneur.

— Tu as chaud ?

— J’ai fort couru.

— Prends garde de te rendre malade, tu n’es peut-être pas encore bien remis.

— Il n’y a pas de danger.

— Et d’où viens-tu ?

— Des environs. Votre Altesse est-elle contente, et a-t-elle eu cour nombreuse ?

— Oui, je suis assez satisfait ; mais, à cette cour, Bussy, quelqu’un manque.

— Qui cela ?

— Ton protégé.

— Mon protégé ?

— Oui, le baron de Méridor.

— Ah ! dit Bussy en changeant de couleur.

— Et, cependant, il ne faudrait pas le négliger, quoiqu’il me néglige. Le baron est influent dans la province.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr. C’était lui le correspondant de la Ligue à Angers ; il avait été choisi par M. de Guise, et, en général, MM. de Guise choisissent bien leurs hommes : il faut qu’il vienne, Bussy.

— Mais, s’il ne vient pas, cependant, monseigneur ?

— S’il ne vient pas à moi, je ferai les avances, et c’est moi qui irai à lui.

— À Méridor ?

— Pourquoi pas ?