dis que la bouche essaye un sourire jamais achevé… Diane, tu dois avoir bien des choses à me dire !
— Rien, rien.
— Tu es donc heureuse… avec M. de Monsoreau ?
Diane tressaillit.
— Tu vois bien ! fit Jeanne avec un tendre reproche.
— Avec M. de Monsoreau ! répéta Diane ; pourquoi as-tu prononcé ce nom ? pourquoi viens-tu d’évoquer ce fantôme au milieu de nos bois, au milieu de nos fleurs, au milieu de notre bonheur…
— Bien, je sais maintenant pourquoi tes beaux yeux sont cerclés de bistre, et pourquoi ils se lèvent si souvent vers le ciel ; mais je ne sais pas encore pourquoi ta bouche essaie de sourire.
Diane secoua tristement la tête.
— Tu m’as dit, je crois, continua Jeanne en entourant de son bras blanc et rond les épaules de Diane, tu m’as dit que M. de Bussy t’avait montré beaucoup d’intérêt…
Diane rougit si fort que son oreille, si délicate et si ronde, parut tout à coup enflammée.
— C’est un charmant cavalier que M. de Bussy, dit Jeanne, et elle chanta :
Un beau chercheur de noise,
C’est le seigneur d’Amboise.
Diane appuya sa tête sur le sein de son amie, et murmura d’une voix plus douce que celle des fauvettes qui chantaient sous la feuillée :
Tendre, fidèle aussi,
C’est le brave…
— Bussy !… dis-le donc, acheva Jeanne en appuyant un joyeux baiser sur les yeux de son amie.
— Assez de folies, dit Diane tout à coup ; M. de Bussy ne pense plus à Diane de Méridor.
— C’est possible, dit Jeanne ; mais je croirais assez qu’il plaît beaucoup à Diane de Monsoreau.
— Ne me dis pas cela.
— Pourquoi ? est-ce que cela te déplaît ?
Diane ne répondit pas.
— Je te dis que M. de Bussy ne songe pas à moi… et il fait bien… Oh ! j’ai été lâche… murmura la jeune femme…
— Que dis-tu là ?
— Rien, rien.
— Voyons, Diane, tu vas recommencer à pleurer, à t’accuser… Toi, lâche ! toi, mon héroïne ; tu as été contrainte.
— Je le croyais… je voyais des dangers, des gouffres sous mes pas… À présent, Jeanne, ces dangers me semblent chimériques, ces gouffres, un enfant pouvait les franchir d’une enjambée. J’ai été lâche, te dis-je, oh ! que n’ai-je eu le temps de réfléchir !…
— Tu me parles par énigmes.
— Non, ce n’est pas encore cela, s’écria Diane en se levant dans un désordre extrême. Non, ce n’est pas ma faute, c’est lui, Jeanne, c’est lui qui n’a pas voulu. Je me rappelle la situation qui me semblait terrible ; j’hésitais, je flottais… mon père m’offrait son appui et j’avais peur… lui, lui m’offrait sa protection… mais il ne l’a pas offerte de façon à me convaincre ; le duc d’Anjou était contre lui. Le duc d’Anjou s’était ligué avec M. de Monsoreau, diras-tu. Eh bien, qu’importent le duc d’Anjou et le comte de Monsoreau ! Quand on veut bien une chose, quand on aime bien quelqu’un, oh ! il n’y aurait ni prince ni maître qui me retiendrait. Vois-tu, Jeanne, si une fois j’aimais…
Et Diane, en proie à son exaltation, s’était adossée à un chêne, comme si, l’âme ayant brisé le corps, celui-ci n’eût plus renfermé assez de force pour se soutenir.
— Voyons, calme-toi, chère amie, raisonne…
— Je te dis que nous avons été lâches.
— Nous… Oh ! Diane, de qui parles-tu là ? Ce nous est éloquent, ma Diane chérie…
— Je veux dire mon père et moi ; j’espère que tu n’entends pas autre chose… Mon père est un bon gentilhomme, et pouvait parler au roi ; moi, je suis fière et ne crains pas un homme quand je le hais… Mais, vois-tu ! le secret de cette lâcheté, le voici : j’ai compris qu’il ne m’aimait pas.
— Tu te mens à toi-même ; s’écria Jeanne ;… si tu croyais cela, au point où je te vois, tu irais le lui reprocher à lui-même… Mais tu ne le crois pas, tu sais le contraire, hypocrite, ajouta-t-elle avec une tendre caresse pour son amie.
— Tu es payée pour croire à l’amour, toi, répliqua Diane en reprenant sa place auprès de Jeanne ; toi, que M. de Saint-Luc a épousée malgré un roi ! toi qu’il a enlevée du milieu de Paris ; toi qu’on a poursuivie peut-être et qui le paies, par tes caresses, de la proscription et de l’exil !
— Et il se trouve richement payé, dit l’espiègle jeune femme.
— Mais moi, — réfléchis un peu, et ne sois pas égoïste ; — moi, que ce fougueux jeune homme prétend aimer ; moi, qui ai fixé les regards de l’indomptable Bussy, cet homme qui ne connaît pas d’obstacles, je me suis mariée publiquement, je me suis offerte aux yeux de toute la cour, et il ne m’a pas regardée ; je me suis confiée à lui dans le cloître de la Gypecienne : nous étions seuls, il avait Gertrude, le Haudoin, ses deux complices, et moi, plus complice encore !… Oh ! j’y songe, par l’église même, un cheval à la porte, il pouvait m’enlever dans un pan de son manteau ! À ce moment, vois-tu, je le sentais souffrant, désolé à cause de moi ; je voyais ses yeux languissants, sa lèvre pâlie et brûlée par la fièvre. S’il m’avait demandé de mourir pour rendre l’éclat à ses yeux, la fraîcheur à ses lèvres, je serais morte… Eh bien, je suis partie, et il n’a pas songé à me retenir par un coin de mon voile. — Attends, attends encore… Oh ! tu ne sais pas ce que je souffre… Il savait que je quittais Paris, que je revenais à Méridor ; il savait que M. de Monsoreau… tiens, j’en rougis… que M. de Monsoreau n’est pas mon époux ; il savait que je venais seule, et, tout le long de la route, chère Jeanne, je me suis retournée, croyant à chaque instant que j’entendais le galop de son cheval derrière nous. Rien ! c’était l’écho du chemin qui parlait ! Je te dis qu’il ne pense pas à moi, et que je ne vaux pas un voyage en Anjou… quand il y a tant de femmes belles et courtoises à la cour du roi de France, dont un sourire vaut cent aveux de la provinciale enterrée dans les halliers de Méridor. Comprends-tu maintenant ? Es-tu convaincue ? ai-je raison ? suis-je oubliée, méprisée, ma pauvre Jeanne ?
Elle n’avait pas achevé ces mots que le feuillage du chêne craqua violemment ; une poussière de mousse et de plâtre brisé roula le long du vieux mur, et un homme, bondissant du milieu des lierres et des mûriers sauvages, vint tomber aux pieds de Diane, qui poussa un cri terrible.
Jeanne s’était écartée ; elle avait vu et reconnut cet homme.
— Vous voyez bien que me voici, murmura Bussy agenouillé en baisant le bas de la robe de Diane, qu’il tenait respectueusement dans sa main tremblante.
Diane reconnut, à son tour, la voix, le sourire du comte, et, saisie au cœur, hors d’elle-même, suffoquée par ce bonheur inespéré, elle ouvrit ses bras et se laissa tomber, privée de sentiment, sur la poitrine de celui qu’elle venait d’accuser d’indifférence.
CHAPITRE LIV.
LES AMANTS
Les pâmoisons de joie ne sont jamais bien longues ni bien dangereuses. On en a vu de mortelles, mais l’exemple est excessivement rare.
Diane ne tarda donc point à ouvrir les yeux, et se trouva dans les bras de Bussy ; car Bussy n’avait pas voulu céder à madame de Saint-Luc le privilège de recueillir le premier regard de Diane.
— Oh ! murmura-t-elle en se réveillant, oh ! c’est affreux, comte, de nous surprendre ainsi.
Bussy attendait d’autres paroles. Eh, qui sait ? les hommes sont si exigeants ! qui sait, disons-nous, s’il n’attendait pas