— Vous êtes fou, monsieur Chicot.
— Dame ! c’est mon titre.
— Mais je dis véritablement fou, mais je dis fou à lier. Allez apprendre à lire, mon ami.
— Eh bien, Henri, dit Chicot, toi qui sais lire, toi qui n’as pas besoin de retourner comme moi à l’école, lis un peu ceci.
Et Chicot tira de sa poitrine le parchemin sur lequel Nicolas David avait écrit la généalogie que nous connaissons, celle-là même qui était revenue d’Avignon, approuvée par le pape, et qui faisait descendre Henri de Guise de Charlemagne.
Henri pâlit dès qu’il eut jeté les yeux sur le parchemin, et reconnut, près de la signature du légat, le sceau de saint Pierre.
— Qu’en dis-tu, Henri ? demanda Chicot, les fleurs de lys sont un peu distancées, hein ? Ventre de biche, les merlettes me paraissent vouloir voler aussi haut que l’aigle de César ; prends-y garde, mon fils !
— Mais par quels moyens t’es-tu procuré cette généalogie ?
— Moi, est-ce que je m’occupe de ces choses-là ? elle est venue me trouver toute seule.
— Mais où était-elle avant de venir te trouver ?
— Sous le traversin d’un avocat ?
— Et comment s’appelait cet avocat ?
— Maître Nicolas David.
— Où était-il ?
— À Lyon.
— Et qui l’a été prendre à Lyon, sous le traversin de cet avocat ?
— Un de mes bons amis.
— Que fait cet ami ?
— Il prêche.
— C’est donc un moine ?
— Juste.
— Et qui se nomme ?
— Gorenflot.
— Comment ! s’écria Henri ; cet abominable ligueur qui a fait ce discours incendiaire à Sainte-Geneviève, et qui, hier, dans les rues de Paris, m’insultait ?
— Te rappelles-tu l’histoire de Brutus qui faisait le fou…
— Mais c’est donc un profond politique que ton génovéfain ?
— Avez-vous entendu parler de M. Machiavelli, secrétaire de la république de Florence ? votre grand’mère est son élève.
— Alors il a soustrait cette pièce à l’avocat.
— Ah ! bien oui, soustrait, il la lui a prise de force.
— À Nicolas David, à ce spadassin ?
— À Nicolas David, à ce spadassin.
— Mais il est donc brave, ton moine ?
— Comme Bayard !
— Et, ayant fait ce beau coup, il ne s’est pas encore présenté devant moi pour recevoir sa récompense ?
— Il est rentré humblement dans son couvent, et il ne demande qu’une chose, c’est qu’on oublie qu’il en est sorti.
— Mais il est donc modeste !
— Comme saint Crépin.
— Chicot, foi de gentilhomme, ton ami aura la première abbaye vacante, dit le roi.
— Merci pour lui, Henri.
Puis à lui-même :
— Ma foi, se dit Chicot, le voilà entre Mayenne et Valois, entre une corde et une prébende ; sera-t-il pendu ? sera-t-il abbé ? Bien fin qui pourrait le dire. En tous cas, s’il dort encore, il doit faire en ce moment-ci de drôles de rêves.
CHAPITRE L.
ÉTÉOCLE ET POLYNICE.
Cette journée de la Ligue finissait tumultueuse et brillante comme elle avait commencé.
Les amis du roi se réjouissaient ; les prédicateurs de la Ligue se préparaient à canoniser frère Henri, et s’entretenaient, comme on avait fait autrefois pour saint Maurice, des grandes actions guerrières de Valois, dont la jeunesse avait été si éclatante.
Les favoris disaient : enfin le lion s’est réveillé.
Les ligueurs disaient : enfin le renard a deviné le piège.
Et comme le caractère de la nation française est principalement l’amour-propre, et que les Français n’aiment pas les chefs d’une intelligence inférieure, les conspirateurs eux-mêmes se réjouissaient d’être joués par leur roi.
Il est vrai que les principaux d’entre eux s’étaient mis à l’abri.
Les trois princes lorrains, comme on l’a vu, avaient quitté Paris à franc étrier, et leur agent principal, M. de Monsoreau, allait sortir du Louvre pour faire ses préparatifs de départ, dans le but de rattraper le duc d’Anjou.
Mais au moment où il allait mettre le pied sur le seuil, Chicot l’aborda. Le palais était vide de ligueurs, le Gascon ne craignait plus rien pour son roi.
— Où allez-vous donc en si grande hâte, monsieur le grand-veneur ? demanda-t-il.
— Auprès de Son Altesse, répondit laconiquement le comte.
— Auprès de Son Altesse ?
— Oui ! je suis inquiet de monseigneur. Nous ne vivons pas dans un temps où les princes puissent se mettre en route sans une bonne suite.
— Oh ! celui-là est si brave, dit Chicot, qu’il en est téméraire.
Le grand veneur regarda le Gascon.
— En tout cas, lui dit-il, si vous êtes inquiet, je le suis bien plus encore, moi !
— De qui ?
— Toujours de la même Altesse.
— Pourquoi ?
— Vous ne savez pas ce que l’on dit ?
— Ne dit-on pas qu’il est parti ? demanda le comte.
— On dit qu’il est mort, souffla tout bas le Gascon à l’oreille de son interlocuteur.
— Bah ! fit Monsoreau avec une intonation de surprise qui n’était pas exempte d’une certaine joie ; vous disiez qu’il était en route.
— Dame ! on me l’avait persuadé. Je suis de si bonne foi, moi, que je crois toutes les bourdes qu’on me conte ; mais maintenant, voyez-vous, j’ai tout lieu de croire, pauvre prince ! que, s’il est en route, c’est pour l’autre monde.
— Voyons, qui vous donne ces funèbres idées ?
— Il est entré au Louvre hier, n’est-ce pas ?
— Sans doute, puisque j’y suis entré avec lui.
— Eh bien, on ne l’en a pas vu sortir.
— Du Louvre ?
— Non.
— Mais Aurilly ?
— Disparu !
— Mais ses gens ?
— Disparus ! disparus ! disparus !
— C’est une raillerie, n’est-ce pas, monsieur Chicot ? dit le grand-veneur.
— Demandez !
— À qui ?
— Au roi.
— On n’interroge point Sa Majesté ?
— Bah ! il n’y a que manière de s’y prendre.
— Voyons, dit le comte, je ne puis rester dans un pareil doute.
Et quittant Chicot, ou plutôt marchant devant lui, il s’achemina vers le cabinet du roi.
Sa Majesté venait de sortir.
— Où est allé le roi ? demanda le grand-veneur ; je dois lui rendre compte de certains ordres qu’il m’a donnés.
— Chez M. le duc d’Anjou, lui répondit celui auquel il s’adressait.