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rues, — vous les avez entendues, sire, dirent ensemble Quélus et Maugiron.

— Le fait est que c’est lui qui est duc et maître dans Paris à cette heure, et non plus le roi : essayez un peu de sortir, lui dit d’Épernon, et vous verrez si l’on vous respectera plus que nous.

— Ah ! mon frère ! mon frère ! murmura Henri d’un ton menaçant.

— Ah ! oui, sire, vous direz encore bien des fois, comme vous venez de le dire : « Ah ! mon frère ! mon frère ! » sans prendre aucun parti contre ce frère, dit Schomberg ; et cependant, je vous le déclare, et c’est clair pour moi, ce frère est à la tête de quelque complot.

— Eh ! mordieu ! s’écria Henri, c’est ce que je disais à ces messieurs quand tu es entré tout à l’heure, d’Épernon ; mais ils m’ont répondu en haussant les épaules et en me tournant le dos.

— Sire, dit Maugiron, nous avons haussé les épaules et tourné le dos, non point parce que vous disiez qu’il y avait un complot, mais parce que nous ne vous voyions pas en humeur de le comprimer.

— Et maintenant, continua Quélus, nous nous retournons vers vous pour vous redire : « Sauvez-nous, sire, ou plutôt sauvez-vous, car, nous tombés, vous êtes mort ; demain M. de Guise vient au Louvre, demain il demandera que vous nommiez un chef à la Ligue ; demain vous nommerez le duc d’Anjou comme vous avez promis de le faire, et alors, une fois le duc d’Anjou chef de la Ligue, c’est-à-dire à la tête de cent mille Parisiens échauffés par les orgies de cette nuit, le duc d’Anjou fera de vous ce qu’il voudra. »

— Ah ! ah ! dit Henri, et en cas de résolution extrême, vous seriez donc disposés à me seconder ?

— Oui, sire, répondirent les jeunes gens d’une seule voix.

— Pourvu cependant, sire, dit d’Épernon, que Votre Majesté me donne le temps de mettre un autre toquet, un autre manteau et un autre pourpoint.

— Passe dans ma garde-robe, d’Épernon, et mon valet de chambre te donnera tout cela ; nous sommes de même taille.

— Et pourvu que vous me donniez le temps, à moi, de prendre un bain.

— Passe dans mon étuve, Schomberg, et mon baigneur aura soin de toi.

— Sire, dit Schomberg, nous pouvons donc espérer que l’insulte ne restera pas sans vengeance ?

Henri étendit la main en signe de silence, et, baissant la tête sur sa poitrine, parut réfléchir profondément. Puis, au bout d’un instant :

— Quélus, dit-il, informez-vous si M. d’Anjou est rentré au Louvre.

Quélus sortit. D’Épernon et Schomberg attendaient avec les autres la réponse de Quélus, tant leur zèle s’était ranimé par l’imminence du danger. Ce n’est point pendant la tempête, c’est pendant le calme qu’on voit les matelots récalcitrants.

— Sire, demanda Maugiron, Votre Majesté prend donc un parti ?

— Vous allez voir, répliqua le roi.

Quélus revint.

— M. le duc n’est pas encore rentré, dit-il.

— C’est bien, répondit le roi. D’Épernon, allez changer d’habit ; Schomberg, allez changer de couleur ; et vous, Quélus, et vous, Maugiron, descendez dans le préau et faites-moi bonne garde jusqu’à ce que mon frère rentre.

— Et quand il rentrera ? demanda Quélus.

— Quand il rentrera, vous ferez fermer toutes les portes ; allez.

— Bravo, sire ! dit Quélus.

— Sire, dit d’Épernon, dans dix minutes je suis ici.

— Moi, sire, je ne puis dire quand j’y serai, ce sera selon la qualité de la teinture.

— Venez le plus tôt possible, répondit le roi, voilà tout ce que j’ai à vous dire.

— Mais Votre Majesté va donc rester seule ? demanda Maugiron.

— Non, Maugiron, je reste avec Dieu, à qui je vais demander sa protection pour notre entreprise.

— Priez-le bien, sire, dit Quélus, car je commence à croire qu’il s’entend avec le diable pour nous damner tous ensemble dans ce monde et dans l’autre.

Amen ! dit Maugiron.

Les deux jeunes gens qui devaient faire la garde sortirent par une porte. Les deux qui devaient changer de costume sortirent par l’autre.

Le roi, resté seul, alla s’agenouiller à son prie-Dieu.


CHAPITRE XLV.

CHICOT EST DE PLUS EN PLUS ROI DE FRANCE.


Minuit sonna ; les portes du Louvre fermaient d’ordinaire à minuit. Mais Henri avait sagement calculé que le duc d’Anjou ne manquerait pas de coucher ce soir-là au Louvre, pour laisser moins de prise aux soupçons que le tumulte de Paris, pendant cette soirée, pouvait faire naître dans l’esprit du roi.

Le roi avait donc ordonné que les portes restassent ouvertes jusqu’à une heure.

À minuit un quart, Quélus remonta.

— Sire, le duc est rentré, dit-il.

— Que fait Maugiron ?

— Il est resté en sentinelle pour voir si le duc ne sortira point.

— Il n’y a pas de danger.

— Alors… dit Quélus en faisant un mouvement pour indiquer au roi qu’il n’y avait plus qu’à agir.

— Alors… laissons-le se coucher tranquillement, dit Henri. Qui a-t-il près de lui ?

— M. de Monsoreau et ses gentilshommes ordinaires.

— Et M. de Bussy ?

— M. de Bussy n’y est pas.

— Bon, dit le roi, à qui c’était un grand soulagement que de sentir son frère privé de sa meilleure épée.

— Qu’ordonne le roi ? demanda Quélus.

— Qu’on dise à d’Épernon et à Schomberg de se hâter, et qu’on prévienne M. de Monsoreau que je désire lui parler.

Quélus s’inclina, et s’acquitta de la commission avec toute la promptitude que peuvent donner à la volonté humaine le sentiment de la haine et le désir de la vengeance réunis dans le même cœur.

Cinq minutes après, d’Épernon et Schomberg entraient, l’un rhabillé à neuf, l’autre débarbouillé au vif ; il n’y avait que les cavités du visage qui avaient conservé une teinte bleuâtre, qui, au dire de l’étuviste, ne s’en irait tout à fait qu’à la suite de plusieurs bains de vapeur.

Après les deux mignons, M. de Monsoreau parut.

— M. le capitaine des gardes de Votre Majesté vient de m’annoncer qu’elle me faisait l’honneur de m’appeler près d’elle, dit le grand-veneur en s’inclinant.

— Oui, monsieur, dit Henri ; oui, en me promenant ce soir j’ai vu les étoiles si brillantes et la lune si belle, que j’ai pensé que, par un si magnifique temps, nous pourrions faire demain une chasse superbe ; il n’est que minuit, monsieur le comte, partez donc pour Vincennes à l’instant même ; faites-moi détourner un daim, et demain nous le courrons.

— Mais, sire, dit Monsoreau, je croyais que demain Votre Majesté avait fait donner rendez-vous à monseigneur d’Anjou et à M. de Guise pour nommer un chef de la Ligue.

— Eh bien, monsieur, après ? dit le roi avec cet accent hautain auquel il était si difficile de répondre.

— Après, sire… après, le temps manquera peut-être.

— Le temps ne manque jamais, monsieur le grand-veneur, à celui qui sait l’employer, c’est pour cela que je vous dis : « Vous avez le temps de partir ce soir, pourvu que vous partiez à l’instant même. » Vous avez le temps de détourner un daim cette nuit, et vous aurez le temps de tenir les équi-