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de la rue Montmartre, fit quelques pas en suivant cette rue, puis tout à coup se jeta à droite dans une impasse sur laquelle s’ouvrait une porte.

Bussy hésita.

— Eh bien ! monsieur le comte, demanda Remy, vous voulez donc que je vous marche sur les talons ?

Bussy continua sa route.

Gertrude, qui marchait toujours la première, tira une cléf de sa poche, et fit entrer sa maîtresse, qui passa devant elle sans retourner la tête.

Le Haudoin dit deux mots à la camériste, s’effaça et laissa passer Bussy ; puis Gertrude et lui entrèrent de front, refermèrent la porte, et l’impasse se retrouva déserte.

Il était sept heures et demie du soir, on allait atteindre les premiers jours de mai ; à l’air tiède qui indiquait les premières haleines du printemps, les feuilles commençaient à se développer au sein de leurs enveloppes crevassées.

Bussy regarda autour de lui : il se trouvait dans un petit jardin de cinquante pieds carrés, entouré de murs très hauts, sur le sommet desquels la vigne vierge et le lierre, élançant leurs pousses nouvelles, faisaient ébouler, de temps à autre, quelques petites parcelles de plâtre, et jetaient à la brise ce parfum âcre et vigoureux que le frais du soir arrache à leurs feuilles.

De longues ravenelles, joyeusement élancées hors des crevasses du vieux mur de l’église, épanouissaient leurs boutons rouges comme un cuivre sans alliage.

Enfin, les premiers lilas, éclos au soleil de la matinée, venaient, de leurs suaves émanations, ébranler le cerveau encore vacillant du jeune homme, qui se demandait si tant de parfums, de chaleur et de vie ne lui venaient pas à lui, si seul, si faible, si abandonné il y avait une heure à peine, ne lui venaient pas uniquement de la présence d’une femme si tendrement aimée.

Sous un berceau de jasmin et de clématite, sur un petit banc de bois adossé au mur de l’église, Diane s’était assise, le front penché, les mains inertes et tombant à ses côtés, et l’on voyait s’effeuiller, froissée entre ses doigts, une giroflée qu’elle brisait sans s’en douter et dont elle éparpillait les fleurs sur le sable.

À ce moment, un rossignol, caché dans un marronnier voisin, commença sa longue et mélancolique chanson, brodée de temps en temps de notes éclatantes comme des fusées.

Bussy était seul dans ce jardin avec madame de Monsoreau, car Remy et Gertrude se tenaient à distance : il s’approcha d’elle ; Diane leva la tête.

— Monsieur le comte, dit-elle d’une voix timide, tout détour serait indigne de nous : si vous m’avez trouvée tout à l’heure à l’église Sainte-Marie-l’Égyptienne, ce n’est point le hasard qui vous y a conduit.

— Non, madame, dit Bussy, c’est le Haudoin qui m’a fait sortir sans me dire dans quel but, et je vous jure que j’ignorais…

— Vous vous trompez au sens de mes paroles, monsieur, dit tristement Diane. Oui, je sais bien que c’est M. Remy qui vous a conduit à l’église, et de force peut-être ?

— Madame, dit Bussy, ce n’est point de force… Je ne savais pas que j’y devais voir…

— Voilà une dure parole, monsieur le comte, murmura Diane en secouant la tête et en levant sur Bussy un regard humide. Avez-vous l’intention de me faire comprendre que, si vous eussiez connu le secret de Remy, vous ne l’eussiez point accompagné ?

— Oh ! madame !

— C’est naturel, c’est juste, monsieur, vous m’avez rendu un service signalé, et je ne vous ai point encore remercié de votre courtoisie. Pardonnez-moi, et agréez toutes mes actions de grâces.

— Madame…

Bussy s’arrêta ; il était tellement étourdi, qu’il n’avait à son service ni paroles ni idées.

— Mais j’ai voulu vous prouver, moi, continua Diane en s’animant, que je ne suis pas une femme ingrate ni un cœur sans mémoire. C’est moi qui ai prié M. Remy de me procurer l’honneur de votre entretien ; c’est moi qui ai indiqué ce rendez-vous : pardonnez-moi si je vous ai déplu.

Bussy appuya une main sur son cœur.

— Oh ! madame, dit-il, vous ne le pensez pas.

Les idées commençaient à revenir à ce pauvre cœur brisé, et il lui semblait que cette douce brise du soir qui lui apportait de si doux parfums et de si tendres paroles lui enlevait en même temps un nuage de dessus les yeux.

— Je sais, continua Diane, qui était la plus forte, parce que depuis longtemps elle était préparée à cette entrevue, je sais combien vous avez eu de mal à faire ma commission. Je connais toute votre délicatesse. Je vous connais et vous apprécie, croyez-le bien. Jugez donc ce que j’ai dû souffrir à l’idée que vous méconnaîtriez les sentiments de mon cœur.

— Madame, dit Bussy, depuis trois jours je suis malade.

— Oui, je le sais, répondit Diane avec une rougeur qui trahissait tout l’intérêt qu’elle prenait à cette maladie, et je souffrais plus que vous, car M. Remy, il me trompait sans doute, M. Remy me laissait croire…

— Que votre oubli causait ma souffrance. Oh ! c’est vrai.

— Donc, j’ai dû faire ce que je fais, comte, reprit madame de Monsoreau. Je vous vois, je vous remercie de vos soins obligeants, et vous en jure une reconnaissance éternelle… ; maintenant croyez que je parle du fond du cœur.

Bussy secoua tristement la tête et ne répondit pas.

— Doutez-vous de mes paroles ? reprit Diane.

— Madame, répondit Bussy, les gens qui ont de l’amitié pour quelqu’un témoignent cette amitié comme ils peuvent : vous me saviez au palais le soir de votre présentation à la cour ; vous me saviez devant vous, vous deviez sentir mon regard peser sur toute votre personne, et vous n’avez pas seulement levé les yeux sur moi ; vous ne m’avez pas fait comprendre, par un mot, par un geste, par un signe, que vous saviez que j’étais là ; après cela, j’ai tort, madame ; peut-être ne m’avez-vous pas reconnu, vous ne m’aviez vu que deux fois.

Diane répondit par un regard de si triste reproche, que Bussy en fut remué jusqu’au fond des entrailles.

— Pardon, madame, pardon, dit-il ; vous n’êtes point une femme comme toutes les autres, et cependant vous agissez comme les femmes vulgaires ; ce mariage ?

— Ne savez-vous pas comment j’ai été forcée à le conclure ?

— Oui, mais il était facile à rompre.

— Impossible, au contraire.

— Mais rien ne vous avertissait donc que, près de vous, veillait un homme dévoué ?

Diane baissa les yeux.

— C’était cela surtout qui me faisait peur, dit-elle.

— Et voilà à quelles considérations vous m’avez sacrifié. Oh ! songez à ce que m’est la vie depuis que vous appartenez à un autre.

— Monsieur, dit la comtesse avec dignité, une femme ne change point de nom sans qu’il n’en résulte un grand dommage pour son honneur, lorsque deux hommes vivent, qui portent, l’un le nom qu’elle a quitté, l’autre le nom qu’elle a pris.

— Toujours est-il que vous avez gardé le nom de Monsoreau par préférence.

— Le croyez-vous ? balbutia Diane. Tant mieux !

Et ses yeux se remplirent de larmes.

Bussy, qui la vit laisser retomber sa tête sur sa poitrine, marcha avec agitation devant elle.

— Enfin, dit Bussy, me voilà redevenu ce que j’étais, madame, c’est-à-dire un étranger pour vous.

— Hélas ! fit Diane.

— Votre silence le dit assez.

— Je ne puis parler que par mon silence.

— Votre silence, madame, est la suite de votre accueil du Louvre. Au Louvre, vous ne me voyiez pas ; ici vous ne me parlez pas.

— Au Louvre, j’étais en présence de M. de Monsoreau. M. de Monsoreau me regardait, et il est jaloux.

— Jaloux ! Eh ! que lui faut-il donc, mon Dieu ! quel