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— Il est beau, continua le roi, ton ami, et respectable surtout ; comment l’appelle-t-on ?

— C’est Gorenflot, Henri ; tu sais ce cher Gorenflot dont M. de Morvilliers t’a déjà touché deux mots.

— L’incendiaire de Sainte-Geneviève ?

— Lui-même.

— En ce cas, je vais le faire pendre.

— Impossible !

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’il n’a pas de cou.

— Mes frères, continua Gorenflot, mes frères, vous voyez un véritable martyr. Mes frères, c’est ma cause que l’on défend en ce moment, ou plutôt c’est celle de tous les bons catholiques. Vous ne savez pas ce qui se passe en province et ce que brassent les huguenots. Nous avons été obligés d’en tuer un à Lyon qui prêchait la révolte. Tant qu’il en restera une seule couvée par toute la France, les bons cœurs n’auront pas un instant de tranquillité. Exterminons donc les huguenots. Aux armes, mes frères, aux armes !

Plusieurs voix répétèrent : Aux armes !

— Par la mordieu ! dit le roi, fais taire ce soulard, ou il va nous faire une seconde Saint-Barthélemy.

— Attends, attends, dit Chicot.

Et, prenant une sarbacane des mains de Quélus, il passa derrière le moine et lui allongea de toute sa force un coup de l’instrument creux et sonore sur l’omoplate.

— Au meurtre ! cria le moine.

— Tiens ! c’est toi ! dit Chicot en passant sa tête sous le bras du moine ; comment vas-tu, frocard ?

— À mon aide, monsieur Chicot, à mon aide, s’écria Gorenflot, les ennemis de la foi veulent m’assassiner ; mais je ne mourrai pas sans que ma voix se fasse entendre. Au feu les huguenots ! aux fagots le Béarnais !

— Veux-tu te taire, animal !

— Au diable les Gascons ! continua le moine.

En ce moment, un second coup, non pas de sarbacane, mais de bâton, tomba sur l’autre épaule de Gorenflot, qui, cette fois, poussa véritablement un cri de douleur.

Chicot, étonné, regarda autour de lui ; mais il ne vit que le bâton. Le coup avait été détaché par un homme qui venait de se perdre dans la foule, après avoir administré cette correction volante à frère Gorenflot.

— Oh ! oh ! dit Chicot, qui diable nous venge ainsi ? Serait-ce quelque enfant du pays ? Il faut que je m’en assure.

Et il se mit à courir après l’homme au bâton, qui se glissait le long du quai, escorté d’un seul compagnon.


CHAPITRE XLI.

LA RUE DE LA FERRONNERIE.


Chicot avait de bonnes jambes, et il s’en fût servi avec avantage pour rejoindre l’homme qui venait de bâtonner Gorenflot, si quelque chose d’étrange dans la tournure de cet homme, et surtout dans celle de son compagnon, ne lui eût fait comprendre qu’il y avait danger à provoquer brusquement une reconnaissance qu’ils paraissaient vouloir éviter. En effet, les deux fuyards cherchaient visiblement à se perdre dans la foule, ne se détournant qu’aux angles des rues pour s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis.

Chicot songea qu’il n’y avait pour lui qu’un moyen de n’avoir pas l’air de les suivre : c’était de les précéder. Tous deux regagnaient la rue Saint-Honoré par la rue de la Monnaie et la rue Tirechappe : au coin de cette dernière, il les dépassa, et, toujours courant, il alla s’embusquer au bout de la rue des Bourdonnais.

Les deux hommes remontaient la rue Saint-Honoré, longeant les maisons du côté de la halle au blé, et, le chapeau rabattu sur les sourcils, le manteau drapé jusqu’aux yeux, marchaient d’un pas pressé, et qui avait quelque chose de militaire, vers la rue de la Ferronnerie. Chicot continua de les précéder.

Au coin de la rue de la Ferronnerie, les deux hommes s’arrêtèrent de nouveau pour jeter un dernier regard autour d’eux.

Pendant ce temps, Chicot avait continué de gagner du terrain et était arrivé, lui, au milieu de la rue.

Au milieu de la rue, et en face d’une maison qui semblait prête à tomber en ruines, tant elle était vieille, stationnait une litière attelée de deux chevaux massifs. Chicot jeta un coup d’œil autour de lui, vit le conducteur endormi sur le devant, une femme paraissant inquiète et collant son visage à la jalousie ; une illumination lui vint que la litière attendait les deux hommes ; il tourna derrière elle, et, protégé par son ombre combinée avec celle de la maison, il se glissa sous un large banc de pierre, lequel servait d’étalage aux marchands de légumes qui, deux fois par semaine, faisaient, à cette époque, un marché rue de la Ferronnerie.

À peine y était-il blotti, qu’il vit apparaître les deux hommes à la tête des chevaux, où de nouveau ils s’arrêtèrent inquiets ; un d’eux alors réveilla le cocher, et, comme il avait le sommeil dur, celui-là laissa échapper un cap dé diou des mieux accentués, tandis que l’autre, plus impatient encore, lui piquait le derrière avec la pointe de son poignard.

— Oh ! oh ! dit Chicot, je ne m’étais donc pas trompé : c’étaient des compatriotes ; cela ne m’étonne plus qu’ils aient si bien étrillé Gorenflot parce qu’il disait du mal des Gascons.

La jeune femme, reconnaissant à son tour les deux hommes pour ceux qu’elle attendait, se pencha rapidement hors de la portière de la lourde machine. Chicot alors l’aperçut plus distinctement : elle pouvait avoir de vingt à vingt-deux ans ; elle était fort belle et fort pâle ; et, s’il eût fait jour, à la moite vapeur qui humectait ses cheveux d’un blond doré et ses yeux cerclés de noir, à ses mains d’un blanc mat, à l’attitude languissante de tout son corps, on eût pu reconnaître qu’elle était en proie à un état de maladie dont ses fréquentes défaillances et l’arrondissement de sa taille eussent bien vite donné le secret.

Mais de tout cela Chicot ne vit que trois choses : c’est qu’elle était jeune, pâle et blonde.

Les deux hommes s’approchèrent de la litière, et se trouvèrent naturellement placés entre elle et le banc sous lequel Chicot s’était tapi.

Le plus grand des deux prit à deux mains la main blanche que la dame lui tendait par l’ouverture de la litière, et, posant le pied sur le marchepied et les deux bras sur la portière :

— Eh bien ! ma mie, demanda-t-il à la dame, mon petit cœur, mon mignon, comment allons-nous ?

La dame répondit en secouant la tête avec un triste sourire et en montrant son flacon de sels.

— Encore des faiblesses, ventre-saint-gris ! Que je vous en voudrais d’être malade ainsi, mon cher amour, si je n’avais pas votre douce maladie à me reprocher !

— Et pourquoi diable aussi emmenez-vous madame à Paris ? dit l’autre homme assez rudement : c’est une malédiction, par ma foi, qu’il faut que vous ayez toujours ainsi quelque jupe cousue à votre pourpoint.

— Eh ! cher Agrippa, dit celui des deux hommes qui avait parlé le premier, et qui paraissait le mari ou l’amant de la dame, c’est une si grande douleur que de se séparer de ce qu’on aime !

Et il échangea avec la dame un regard plein d’amoureuse langueur.

— Cordioux ! vous me damnez, sur mon âme, quand je vous entends parler, reprit l’aigre compagnon ; êtes-vous donc venu à Paris pour faire l’amour, beau vert-galant ? Il me semble cependant que le Béarn est assez grand pour vos promenades sentimentales, sans pousser ces promenades jusqu’à la Babylone où vous avez failli vingt fois nous faire éreinter ce soir. Retournez là-bas, si vous voulez mugueter aux rideaux des litières ; mais ici, mordioux ! ne faites d’autres intrigues que des intrigues politiques, mon maître.

Chicot, à ce mot de maître, eût bien voulu lever la tête ; mais il ne pouvait guère, sans être vu, risquer un pareil mouvement.

— Laissez-le gronder, ma mie, et ne vous inquiétez point