ment de cœur et un accent de douloureux intérêt qui fit venir les larmes aux yeux de Bussy, la voix douce qui avait déjà parlé, et que le blessé reconnut pour être celle de la dame du portrait.
— Dam ! je n’en sais rien encore ; mais je vais vous le dire, répliqua le jeune homme ; en attendant il est évanoui.
Ce fut là tout ce que put comprendre Bussy ; il lui sembla entendre comme le froissement d’une robe qui s’éloignait. Puis il crut sentir quelque chose comme un fer rouge qui traversait son flanc, et ce qui restait d’éveillé en lui acheva de s’évanouir.
Plus tard il fut impossible à Bussy de fixer la durée de cet évanouissement.
Seulement, lorsqu’il sortit de ce sommeil, un vent froid courait sur son visage ; des voix rauques et discordantes écorchaient son oreille, il ouvrit les yeux pour voir si c’étaient les personnages de la tapisserie qui se querellaient avec ceux du plafond, et, dans l’espérance que le portrait serait toujours là, il tourna la tête de tous côtés. Mais de tapisserie, point ; de plafond, pas davantage. Quant au portrait, il avait complètement disparu. Bussy n’avait à sa droite qu’un homme vêtu de gris avec un tablier blanc retroussé à la ceinture et taché de sang ; à sa gauche, qu’un moine génovéfain, qui lui soulevait la tête, et devant lui, qu’une vieille femme marmottant des prières.
L’œil errant de Bussy s’attacha bientôt à une masse de pierres qui se dressait devant lui, et monta jusqu’à la plus grande hauteur de ces pierres pour la mesurer ; il reconnut alors le Temple, ce donjon flanqué de murs et de tours ; au-dessus du Temple le ciel blanc et froid, légèrement doré par le soleil levant.
Bussy était purement et simplement dans la rue, ou plutôt sur le rebord d’un fossé, et ce fossé était celui du Temple.
— Ah ! merci, mes braves gens, dit-il, pour la peine que vous avez prise de m’apporter ici. J’avais besoin d’air, mais on aurait pu m’en donner en ouvrant les fenêtres, et j’eusse été mieux sur mon lit de damas blanc et or que sur cette terre nue. N’importe, il y a dans ma poche, à moins que vous ne vous soyez déjà payés vous-mêmes, ce qui serait prudent, quelque vingt écus d’or ; prenez, mes amis, prenez.
— Mais, mon gentilhomme, dit le boucher, nous n’avons pas eu la peine de vous apporter, et vous étiez là, bien véritablement là. Nous vous y avons trouvé, en passant au point du jour.
— Ah ! diable ! dit Bussy ; et le jeune médecin y était-il.
Les assistants se regardèrent.
— C’est un reste de délire, dit le moine en secouant la tête. Puis, revenant à Bussy :
— Mon fils, lui dit-il, je crois que vous feriez bien de vous confesser.
Bussy regarda le moine d’un air effaré.
— Il n’y avait pas de médecin, pauvre cher jeune homme, dit la vieille. Vous étiez là, seul, abandonné, froid comme un mort. Voyez, il y a un peu de neige, et votre place est dessinée en noir sur la neige.
Bussy jeta un regard sur son côté endolori, se rappela avoir reçu un coup d’épée, glissa la main sous son pourpoint et sentit son mouchoir à la même place, fixé sur la plaie par le ceinturon de son épée.
— C’est singulier, dit-il.
Déjà, profitant de la permission qu’il leur avait donnée, les assistants se partageaient sa bourse avec force exclamations pitoyables à son endroit.
— Là, dit-il quand le partage fut achevé, c’est fort bien, mes amis. Maintenant, conduisez-moi à mon hôtel.
— Ah ! certainement, certainement, pauvre cher jeune homme, dit la vieille ; le boucher est fort, et puis il a son cheval, sur lequel vous pouvez monter.
— Est-ce vrai ? dit Bussy.
— C’est la vérité du bon Dieu ! dit le boucher, et moi et mon cheval sommes à votre service, mon gentilhomme.
— C’est égal, mon fils, dit le moine, tandis que le boucher va chercher son cheval, vous feriez bien de vous confesser.
— Comment vous appelez-vous ? demanda Bussy.
— Je m’appelle frère Gorenflot, répondit le moine.
— Eh bien, frère Gorenflot, dit Bussy en s’accommodant sur son derrière, j’espère que le moment n’est pas encore venu. Aussi, mon père, au plus pressé. J’ai froid, et je voudrais être à mon hôtel pour me réchauffer.
— Et comment s’appelle votre hôtel ?
— Hôtel de Bussy.
— Comment ! s’écrièrent les assistants, hôtel de Bussy !
— Oui, qu’y a-t-il d’étonnant à cela ?
— Vous êtes donc des gens de M. de Bussy.
— Je suis M. de Bussy lui-même.
— Bussy ! s’écria la foule, le seigneur de Bussy, le brave Bussy, le fléau des mignons… Vive Bussy !
Et le jeune homme, enlevé sur les épaules de ses auditeurs, fut reporté en triomphe en son hôtel, tandis que le moine s’en allait comptant sa part des vingt écus d’or, secouant la tête et murmurant :
— Si c’est ce sacripant de Bussy, cela ne m’étonne plus qu’il n’ait pas voulu se confesser.
Une fois rentré dans son hôtel, Bussy fit appeler son chirurgien ordinaire, lequel trouva la blessure sans conséquence.
— Dites-moi, lui dit Bussy, cette blessure n’a-t-elle pas été pansée ?
— Ma foi ! dit le docteur, je ne l’affirmerais pas, quoique, après tout, elle paraisse bien fraîche.
— Et, demanda Bussy, est-elle assez grave m’avoir donné le délire ?
— Certainement.
— Diable ! fit Bussy ; cependant cette tapisserie avec ses personnages portant des fleurs et des piques, ce plafond à fresques, ce lit sculpté et tendu de damas blanc et or, ce portrait entre les deux fenêtres, cette adorable femme blonde aux yeux noirs, ce médecin qui jouait à Colin-Maillard, et à qui j’ai failli crier casse-cou, ce serait donc du délire ? et il n’y aurait de vrai que mon combat avec les mignons ? Où me suis-je donc battu, déjà ? Ah ! oui, c’est cela. C’était près de la Bastille, vers la rue Saint-Paul. Je me suis adossé à un mur ; ce mur, c’était une porte, et cette porte a cédé heureusement. Je l’ai refermée à grand’peine, je me suis trouvé dans une allée. Là, je ne me rappelle plus rien jusqu’au moment où je me suis évanoui. Ou bien ai-je rêvé, maintenant ? voici la question. Ah ! et mon cheval, à propos ? On doit avoir retrouvé mon cheval mort sur la place. Docteur, appelez, je vous prie, quelqu’un.
Le docteur appela un valet.
Bussy s’informa et il apprit que l’animal, saignant, mutilé, s’était traîné jusqu’à la porte de l’hôtel, et qu’on l’avait trouvé là, hennissant, à la pointe du jour. Aussitôt l’alarme s’était répandue dans l’hôtel ; tous les gens de Bussy, qui adoraient leur maître, s’étaient mis à sa recherche, et la plupart d’entre eux n’étaient pas encore rentrés.
— Il n’y a donc que le portrait, dit Bussy, qui demeure pour moi à l’état de rêve, et c’en était un en effet. Quelle probabilité y a-t-il qu’un portrait se détache de son cadre pour venir converser avec un médecin qui a les yeux bandés ? C’est moi qui suis un fou.
Et cependant, quand je me le rappelle, ce portrait était bien charmant. Il avait…
Bussy se mit à détailler le portrait, et, à mesure qu’il en repassait tout les détails dans sa mémoire, un frisson voluptueux, ce frisson de l’amour qui réchauffe et chatouille le cœur, passait comme un velours sur sa poitrine brûlante.
— Et j’aurais rêvé tout cela ! s’écria Bussy, tandis que le docteur posait l’appareil sur sa blessure. Mordieu ! c’est impossible, on ne fait pas de pareils rêves. – Récapitulons.
Et Bussy se mit à répéter pour la centième fois :
— J’étais au bal ; Saint-Luc m’a prévenu qu’on devait m’attendre du côté de la Bastille. J’étais avec Antraguet, Ribeirac et Livarot. Je les ai renvoyés. J’ai pris ma route par le quai, le Grand-Châtelet, etc., etc. À l’hôtel des Tournelles, j’ai commencé d’apercevoir les gens qui m’attendaient. Ils se sont rués sur moi, m’ont estropié mon cheval. Nous nous sommes rudement battus. Je suis entré dans une allée ; je me suis