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Ce coup d’œil fut ramassé en route par Balsamo.

— Mais, au moins, dit-il, M. le maréchal fait avancer votre fils ?

— Mon fils, lui ! il l’a en horreur.

— Le fils de son ami ?

— Et il a raison.

— Comment, c’est vous qui le dites ?

— Pardieu ! un philosophe ! Il l’exècre.

— Et Philippe le lui rend bien du reste, dit Andrée avec un calme parlait. Desservez, Legay !

La jeune fille, arrachée à la vigilante observation qui rivait son regard à la fenêtre, accourut.

— Ah ! dit le baron en soupirant, autrefois on restait à table jusqu’à deux heures du matin. C’est qu’on avait de quoi souper ! c’est que, quand on ne mangeait plus, on buvait encore ! Mais le moyen de boire de la piquette quand on ne mange plus… Legay, donnez un flacon de marasquin… si toutefois il en reste.

— Faites, dit Andrée à Legay, qui semblait attendre les ordres de sa maîtresse pour obéir à ceux du baron.

Le baron s’était renversé dans son fauteuil, et, les yeux fermés, il poussait des soupirs d’une mélancolie grotesque.

— Vous me parliez du maréchal de Richelieu, reprit Balsamo, qui paraissait décidé à ne point laisser tomber la conversation.

— Oui, dit Taverney, je vous en parlais, c’est vrai.

Et il chantonna un air non moins mélancolique que ses soupirs.

— S’il exècre votre fils, et s’il a raison de l’exécrer parce qu’il est philosophe, continua Balsamo, il a dû vous garder son amitié, à vous, car vous ne l’êtes pas.

— Philosophe ? non, Dieu merci !

— Ce ne sont pas les titres qui vous manquent, je présume ? Vous avez servi le roi ?

— Quinze ans. J’ai été aide-de-camp du maréchal ; nous avons fait ensemble la campagne de Mahon, et notre amitié date… ma foi, attendez donc… du fameux siège de Philipsbourg, c’est-à-dire de 1742 ou 1743.