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est récréatif ! Un peuple vertueux ! à quoi servirait-il ? je vous le demande. Ah ! tout va mal, voyez-vous, et cela depuis que Sa Majesté a parlé à M. de Voltaire et a lu les livres de M. Diderot.

En ce moment, Balsamo crut encore voir la même figure pâlissante apparaître derrière les vitres. Mais cette figure disparut aussitôt qu’il fixa ses yeux sur elle.

— Mademoiselle serait-elle philosophe ? demanda en souriant Balsamo.

— Je ne sais pas ce que c’est que la philosophie, répondit Andrée. Je sais seulement que j’aime ce qui est sérieux.

— Eh ! mademoiselle ! s’écria le baron, rien n’est plus sérieux, à mon avis, que de bien vivre ; aimez donc cela.

— Mais mademoiselle ne hait point la vie, à ce qu’il me semble ? demanda Balsamo.

— Cela dépend, monsieur, répliqua Andrée.

— Voilà encore un mot stupide, dit le baron. Eh bien ! croiriez-vous, monsieur, qu’il m’a déjà été répondu lettre pour lettre par mon fils.

— Vous avez un fils, mon cher hôte ? demanda Balsamo.

— Oh ! mon Dieu, oui, j’ai ce malheur ; un vicomte de Taverney, lieutenant aux gendarmes Dauphin, un excellent sujet !…

Le baron prononça ces trois derniers mots en serrant les dents comme s’il eut voulu en mâcher chaque lettre.

— Je vous en félicite, monsieur, dit Balsamo en s’inclinant.

— Oui, répondit le vieillard, encore un philosophe. Cela fait hausser les épaules, parole d’honneur. Ne me parlait-il pas, l’autre jour, d’affranchir les nègres. — Et le sucre ! ai-je fait. J’aime mon café fort sucré, moi, et le roi Louis XV aussi. — Monsieur, a-t-il répondu, plutôt se passer de sucre que de voir souffrir une race… — Une race de singes, ai-je dit, et encore je leur faisais bien de l’honneur. Savez-vous ce qu’il a prétendu ? foi de gentilhomme, il faut qu’il y ait quelque chose dans l’air qui leur tourne la tête, il a prétendu que tous les hommes étaient frères ! Moi, le frère d’un Mozambique !

— Oh ! fit Balsamo ; c’est aller bien loin.