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d’une double expression facile à saisir ; la politesse voulait qu’il sourît à son hôte inconnu ; l’impatience changeait cette disposition en une grimace dont la signification tournait décidément à l’atrabilaire et au rechigné, de sorte qu’éclairée par les lueurs tremblantes du bougeoir, dont les ombres hachaient les principaux traits, la physionomie du baron de Taverney pouvait passer pour celle d’un très laid seigneur.

— Monsieur, dit-il, puis-je savoir à quel heureux hasard je dois le plaisir de vous voir ?

— Mais, monsieur, à l’orage qui a effrayé les chevaux, lesquels, en s’emportant, ont failli briser ma voiture. J’étais donc là sur la grande route, sans postillons : l’un s’était laissé tomber de cheval, l’autre s’était sauvé avec le sien, lorsqu’un jeune homme que j’ai rencontré m’a indiqué le chemin qui conduisait à votre château, en me rassurant sur votre hospitalité bien connue.

Le baron leva son bougeoir pour éclairer un plus large espace de terrain, et pour voir si, dans cet espace, il découvrirait le maladroit qui lui valait cet heureux hasard dont il parlait tout à l’heure.

De son côté, le voyageur chercha autour de lui pour voir si bien décidément son jeune guide s’était retiré.

— Et savez-vous comment se nomme celui qui vous a indiqué mon château, monsieur ? demanda le baron de Taverney en homme qui veut savoir à qui exprimer sa reconnaissance.

— Mais c’est un jeune homme qui s’appelle, je crois, Gilbert.

— Ah ! ah ! Gilbert ; je n’aurais pas cru qu’il fût bon, même à cela. Ah ! c’est le fainéant Gilbert, le philosophe Gilbert !

À ce flux d’épithètes, accentuées d’une menaçante façon, le visiteur comprit qu’il existait peu de sympathie entre le seigneur suzerain et son vassal.

— Enfin, dit le baron après un moment de silence non moins expressif que ses paroles, veuillez entrer, monsieur.

— Permettez d’abord, monsieur, dit le voyageur, que je fasse remiser ma voiture, qui contient des objets assez précieux.