Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ne voudrons. Jésus Dieu ! voilà que nous roulons malgré nous !

En effet le lourd carrosse, pesant sur la croupe des chevaux, qui ne pouvaient plus le soutenir, faute de tenir pied, prit un mouvement de course progressive que la multiplication des pesanteurs changea bientôt en une impétueuse rotation.

Les chevaux s’emportèrent de douleur, et l’équipage vola comme une flèche sur la pente obscure, se rapprochant visiblement du précipice.

Ce ne fut plus seulement la voix, ce fut aussi la tête du voyageur qui sortit alors de la voiture.

— Maladroit ! cria-t-il, tu vas nous tuer tous ! À gauche les guides ! à gauche, donc !

— Eh ! monsieur, je voudrais bien vous y voir ! répondit le postillon effaré en essayant inutilement de réunir ses rênes et de reprendre sur ses chevaux la supériorité qu’il avait perdue.

— Joseph ! cria à son tour une voix de femme qui se faisait entendre pour la première fois ; Joseph ! au secours ! au secours ! Ah ! sainte madone !

Effectivement le danger était urgent, terrible, suprême, et pouvait motiver cette invocation à la Mère de Dieu. La voiture, toujours entraînée par son poids et cessant d’être dirigée par une main sûre, continuait de s’avancer vers le précipice, sur lequel un des deux chevaux semblait déjà suspendu ; trois tours de roues encore, et chevaux, voiture, postillons, tout était précipité, broyé, anéanti, lorsque le voyageur, s’élançant du cabriolet sur le timon, saisit le postillon par le collet de son habit et la ceinture de sa culotte, l’enleva comme il eût fait d’un enfant, le lança à dix pas, sauta en selle à sa place, réunit les guides, et, d’une voix terrible :

— À gauche ! cria-t-il au second postillon ; à gauche, drôle ! ou je te brûle la cervelle !

L’ordre eut un effet magique ; le postillon qui conduisait les deux chevaux de devant, poursuivi par le cri de son malheureux compagnon, fit un effort surhumain, et donnant l’impulsion à la voiture, la ramena, puissamment aidé par le voyageur, sur le milieu du pavé, où elle commença de rouler avec la