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liberté. Je vis que tous les prophètes apparus successivement avaient été suscités par le Seigneur pour soutenir la marche chancelante de l’humanité, qui, partie aveugle de son berceau, fait chaque siècle un pas vers la lumière : les siècles sont les jours des peuples.

« Alors je me suis dit que tant de choses sublimes ne m’avaient pas été révélées pour que je les ensevelisse en moi, que c’est vainement que la montagne renferme ses filons d’or et que l’océan cache ses perles ; car le mineur obstiné pénètre au fond de la montagne ; car le plongeur descend dans les profondeurs de l’océan, et que mieux valait, au lieu de faire comme l’océan et la montagne, faire comme le soleil, c’est-à-dire secouer mes splendeurs sur le monde.

« Vous comprenez donc maintenant, n’est-ce pas, que ce n’est point pour accomplir de simples rites maçonniques que je suis venu d’orient. Je suis venu pour vous dire : Frères, empruntez les ailes et les yeux de l’aigle, élevez-vous au-dessus du monde, gagnez avec moi la cime de la montagne où Satan emporta Jésus, et jetez les yeux sur les royaumes de la terre.

« Les peuples forment une immense phalange ; nés à différentes époques et dans des conditions diverses, ils ont pris leurs rangs et doivent arriver, chacun à son tour, au but pour lequel ils ont été créés. Ils marchent incessamment, quoiqu’ils semblent se reposer, et s’ils reculent par hasard, ce n’est pas qu’ils vont en arrière, c’est qu’ils prennent un élan pour franchir quelque obstacle ou bien pour briser quelque difficulté.

« La France est à l’avant-garde des nations ; mettons-lui un flambeau à la main. Ce flambeau dût-il être une torche, la flamme qui la dévorera sera un salutaire incendie, puisqu’il éclairera le monde.

« C’est pour cela que le représentant de la France manque ici ; peut-être eût-il reculé devant sa mission… Il faut un homme qui ne recule devant rien… j’irai en France.

— Vous irez en France ? reprit le président.

— Oui, c’est le poste le plus important… je le prends pour moi ; c’est l’œuvre la plus périlleuse… je m’en charge.