— Veux-tu arriver, ou non ? dit le vicomte en grinçant des dents.
— Je veux arriver, sans doute ! Tout est perdu si nous n’arrivons pas.
— Eh bien, alors laisse-moi donc faire !
Et le vicomte, séparant des autres chevaux les trois bêtes qu’il avait choisies, et qui n’étaient pas les plus mauvaises, marcha vers la chaise, les tirant après lui.
— Songez-y, monsieur, songez-y, criait le maître de poste en suivant Jean, c’est crime de lèse-majesté que le vol de ces chevaux !
— Je ne les vole pas, imbécile, je les emprunte, voilà tout. Avancez, mes petits noirs, avancez !
Le maître de poste s’élança sur les guides ; mais, avant qu’il ne les eût touchées, l’étranger l’avait déjà repoussé rudement.
— Mon frère ! mon frère ! cria mademoiselle Chon.
— Ah ! c’était son frère, murmura Gilbert en respirant plus librement dans le fond de sa voiture.
En ce moment une fenêtre s’ouvrit juste en face de la porte à la ferme, de l’autre côté de la rue, et une admirable tête de femme s’y montra, tout effarée au bruit qu’elle entendait.
— Ah ! c’est vous, madame, dit Jean changeant de conversation.
— Comment, moi ? dit la jeune femme en mauvais français.
— Vous voilà réveillée ; tant mieux. Voulez-vous me vendre votre cheval ?
— Mon cheval ?
— Oui, le cheval gris, l’arabe qui est attaché là au contrevent. Vous savez que j’en offre cinq cents pistoles.
— Mon cheval n’est pas à vendre, monsieur, dit la jeune femme en refermant la fenêtre.
— Allons, je n’ai pas de chance aujourd’hui, dit Jean, on ne veut ni me vendre ni me louer. Corbleu ! je prendrai l’arabe si l’on ne me le vend pas, et je crèverai les mecklembourgeois si l’on ne me les loue pas. Viens çà, Patrice.
Le laquais du voyageur sauta du haut siège de la voiture à terre.