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— Je suis orphelin.

— Et vous vous nommez ?

— Gilbert.

— Gilbert de quoi ?

— De rien.

— Ah ! ah ! fit la jeune femme, de plus en plus étonnée.

Gilbert vit qu’il produisait de l’effet et s’applaudissait de s’être posé en Jean-Jacques Rousseau.

— Vous êtes bien jeune, mon ami, pour courir les grands chemins ? continua la dame.

— J’étais resté seul et abandonné dans un vieux château que ses maîtres venaient de quitter. J’ai fait comme eux, je l’ai quitté à mon tour.

— Sans but ?

— La terre est grande, et il y a place, dit-on, pour tout le monde au soleil.

— Bien, murmura tout bas la dame, c’est quelque bâtard de campagne qui se sera enfui de sa gentilhommière.

— Et vous dites que vous avez perdu votre bourse ? demanda-t-elle tout haut.

— Oui.

— Était-elle bien garnie ?

— Je n’avais qu’un seul écu de six livres, dit Gilbert, partagé entre la honte d’avouer sa détresse et le danger d’afficher une trop grande fortune, que l’on pouvait supposer mal acquise, mais j’en eusse fait assez.

— Un écu de six livres pour un si long voyage, mais à peine aviez-vous assez pour acheter du pain pendant deux jours ! Et le chemin, bon Dieu ! quel chemin ! de Bar-le-Duc à Paris, dites-vous ?

— Oui.

— Quelque chose comme soixante à soixante-cinq lieues, je pense ?

— Je n’ai pas compté les lieues, madame. J’ai dit : « Il faut que j’arrive », voilà tout.

— Et là-dessus, vous êtes parti, pauvre fou ?

— Oh ! j’ai de bonnes jambes.