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Il vit Andrée au rayonnement des flambeaux ; il l’entendit demander quelle heure il était. Une voix répondit : onze heures. En ce moment, Gilbert n’était point las, et il eût repoussé avec mépris l’offre de monter dans une voiture.

C’est que déjà aux yeux ardents de son imagination apparaissait Versailles, doré, resplendissant ; Versailles, la ville des nobles et des rois. Puis, au delà de Versailles, Paris, sombre, noir, immense ; Paris, la ville du peuple.

Et en échange de ces visions, qui recréaient son esprit, Gilbert n’eût point accepté tout l’or du Pérou.

Deux choses le tirèrent de son extase, le bruit que firent les voitures en repartant, et un coup violent qu’il se donna contre une charrue oubliée sur la route.

Son estomac aussi commençait à crier famine.

— Heureusement, se disait Gilbert, j’ai de l’argent, je suis riche.

On sait que Gilbert avait un écu.

Jusqu’à minuit les voitures roulèrent.

À minuit on arriva à Saint-Dizier. C’était là que Gilbert avait l’espoir qu’on coucherait. Gilbert avait fait seize lieues en douze heures. Il s’assit sur le revers du fossé.

Mais à Saint-Dizier on relaya seulement, Gilbert entendit le bruit des grelots qui s’éloignaient de nouveau. Les illustres voyageurs avaient rafraîchi seulement au milieu des flambeaux et des fleurs.

Gilbert eut besoin de tout son courage. Il se remit sur ses jambes avec une énergie de volonté qui lui fit oublier que, dix minutes auparavant, ses jambes faiblissaient sous lui.

— Bien, dit-il, partez, partez ! Moi aussi tout à l’heure je m’arrêterai à Saint-Dizier, j’y achèterai du pain et un morceau de lard, j’y boirai un verre de vin ; j’aurai dépensé cinq sous, et pour mes cinq sous je serai mieux réconforté que les maîtres.

C’était avec son emphase ordinaire que Gilbert prononçait ce mot maîtres que nous soulignons à cet effet.

Gilbert entra comme il se l’était promis à Saint-Dizier, où