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route, et dont le cours était si pur, si frais, si brodé de cressons et de nymphéas jaunes, que, sur la demande d’Andrée, le carrosse s’était arrêté, et qu’Andrée était descendue elle-même, et avait puisé un verre de cette eau dans la tasse d’or de la dauphine, seule pièce de service que, sur la prière de sa fille, le baron eût conservée.

Caché derrière un des ormes de la route, Gilbert avait vu tout cela.

Aussi lorsque les voyageurs s’étaient éloignés, Gilbert était-il venu juste au même endroit, avait-il mis le pied sur le petit tertre où il avait vu monter Andrée, et bu l’eau dans sa main, comme Diogène, aux mêmes flots où venait de se désaltérer mademoiselle de Taverney.

Puis, bien rafraîchi, il avait repris sa course.

Une seule chose inquiétait Gilbert, c’était de savoir si la dauphine coucherait en route. Si la dauphine couchait en route, ce qui était probable, car après la fatigue dont elle s’était plainte à Taverney, elle aurait certes besoin de repos ; si la dauphine couchait en route, disons-nous, Gilbert était sauvé. On s’arrêterait sans doute, dans ce cas, à Saint-Dizier. Deux heures de sommeil dans une grange lui suffiraient, à lui, pour rendre l’élasticité à ses jambes, qui commençaient à se raidir ; puis, ces deux heures écoulées, il se remettrait en chemin, et pendant la nuit, tout en marchant à petits pas, il gagnerait facilement cinq ou six lieues sur eux. On marche si bien à dix-huit ans, par une belle nuit du mois de mai !

Le soir vint, enveloppant l’horizon de son ombre sans cesse rapprochée, jusqu’à ce que cette ombre eût gagné jusqu’au chemin où courait Gilbert. Bientôt il ne vit plus de la voiture que la grosse lanterne placée au côté gauche du carrosse, et dont le reflet faisait sur la route l’effet d’un fantôme blanc toujours courant effaré sur le revers du chemin.

Après le soir, vint la nuit. On avait fait douze lieues, on arriva à Combles ; les équipages parurent s’arrêter un instant. Gilbert crut décidément que le ciel était pour lui. Il s’approcha pour entendre la voix d’Andrée. Le carrosse était stationnaire ; il se glissa dans le renfoncement d’une grande porte.