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et courut aux granges pleines de paille sèche, de luzerne et de féveroles ; il l’approchait déjà des bottes de fourrage, lorsque Balsamo surgit derrière lui et lui saisit le bras.

— Que faites-vous donc là, monsieur ? dit-il en arrachant le brandon des mains du vieillard ; l’archiduchesse d’Autriche n’est point un connétable de Bourbon dont la présence souille une maison à ce point qu’on la brûle plutôt que de la laisser y mettre le pied.

Le vieillard s’arrêta, pâle, tremblant, et ne souriant plus comme d’habitude. Il lui avait fallu réunir toutes ses forces pour adopter au profit de son honneur, du moins à la façon dont il l’entendait, une résolution qui faisait d’une médiocrité encore supportable une misère complète.

— Allez, monsieur, allez, continua Balsamo, vous n’avez que le temps de quitter cette robe de chambre et de vous habiller d’une façon convenable. Quand j’ai connu au siège de Philipsbourg le baron de Taverney, il était grand-croix de Saint-Louis. Je ne sache pas d’habit qui ne redevienne riche et élégant sous une pareille décoration.

— Mais, monsieur, reprit Taverney, avec tout cela la dauphine va voir ce que je ne voulais pas même vous montrer à vous, c’est que je suis malheureux.

— Soyez tranquille, baron ; on l’occupera tellement qu’elle ne remarquera pas si votre maison est neuve ou vieille, pauvre ou riche. Soyez hospitalier, monsieur, c’est votre devoir comme gentilhomme. Que feront les ennemis de Son Altesse Royale, et elle en a bon nombre, si ses amis brûlent leurs châteaux pour ne pas la recevoir sous leur toit ? N’anticipons pas sur les colères à venir, monsieur ; chaque chose aura son tour.

M. de Taverney obéit avec cette résignation dont une fois déjà il avait donné la preuve, et alla rejoindre ses enfants, qui, inquiets de son absence, le cherchaient de tous côtés.

Quant à Balsamo, il se retira silencieusement comme pour achever une œuvre commencée.