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— Mademoiselle le sait mieux que personne, elle qui lui commande de chasser pour la table.

— Moi ?

— Et qui lui fait faire quelquefois dix lieues avant qu’il ne trouve un gibier.

— Ma foi, j’avoue que je n’y ai jamais fait la moindre attention.

— Au gibier ?… dit Nicole en ricanant.

Andrée eût ri peut-être de cette saillie, et n’eût pas deviné tout le fiel contenu dans les sarcasmes de sa chambrière, si elle eût été dans sa disposition ordinaire d’esprit. Mais ses nerfs tressaillaient comme les cordes d’un instrument qu’on a fatigué outre mesure. Des frissonnements nerveux précédaient chaque acte de sa volonté, chaque mouvement de son corps. Le moindre mouvement d’esprit lui était une difficulté qu’il fallait vaincre : en style de nos jours, nous dirions qu’elle était agacée. Mot heureux, conquête de philologie qui rappelle cet état de frisson révoltant où nous jette la succion d’un fruit âpre ou le contact de certains corps raboteux.

— Que veut dire cet esprit ? demanda Andrée se ranimant tout à coup, et prenant avec l’impatience toute la perspicacité que sa mollesse l’empêchait d’avoir depuis le commencement de la scène.

— Je n’ai pas d’esprit, mademoiselle, dit Nicole. L’esprit est bon pour les grandes dames. Je suis une pauvre fille, et je dis tout bonnement ce qui est.

— Qu’est-ce qui est, voyons ?

— Mademoiselle calomnie Gilbert qui est plein d’attentions pour elle. Voilà ce qui est.

— Il ne fait que son devoir en qualité de domestique ; après ?

— Mais Gilbert n’est pas domestique, mademoiselle ; on ne le paie pas.

— Il est fils de nos anciens métayers ; on le nourrit, on le loge ; il ne fait rien en échange de la nourriture et du logement qu’on lui donne : tant pis pour lui, car il les vole. Mais où voulez-vous en venir et pourquoi défendre si chaudement ce garçon que l’on n’attaque pas ?