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— À la bonne heure, dit Gilbert, vous voilà parvenue à une certaine hauteur, Nicole, et je suis convaincu d’une chose.

— De laquelle ?

— C’est que si je consentais à vous épouser maintenant…

— Eh bien ?

— Eh bien ! c’est vous qui refuseriez.

Nicole réfléchit ; puis, les mains crispées, les dents grinçantes :

— Je crois que tu as raison, Gilbert, dit-elle ; je crois que, moi aussi, je commence à gravir cette montagne dont tu me parlais ; je crois que, moi aussi, je vois s’élargir mon horizon ; je crois que, moi aussi, je suis destinée à devenir quelque chose ; et c’est vraiment trop peu que de devenir la femme d’un savant ou d’un philosophe. Maintenant, regagnez votre échelle, Gilbert, et tâchez de ne point vous casser le cou, quoique je commence à croire que ce serait un grand bonheur pour les autres, et peut-être même pour vous.

Et la jeune fille, tournant le dos à Gilbert, commença de se déshabiller comme s’il n’était point là.

Gilbert demeura un instant immobile, indécis, hésitant, car, excitée ainsi par la poésie de la colère et la flamme de la jalousie, Nicole était une ravissante créature. Mais il y avait un dessein bien arrêté dans le cœur de Gilbert, c’était de rompre avec Nicole ; Nicole pouvait nuire à la fois à ses amours et à ses ambitions. Il résista.

Au bout de quelques secondes, Nicole, n’entendant plus aucun bruit derrière elle, se retourna ; la chambre était vide.

— Parti ! murmura-t-elle, parti !

Elle alla vers la fenêtre ; tout était obscur, la lumière était éteinte.

— Et Mademoiselle ! dit Nicole.

La jeune fille alors descendit l’escalier sur la pointe du pied, s’approcha de la porte de la chambre de sa maîtresse et écouta.

— Bon, dit-elle, elle s’est couchée seule et elle dort… À demain… Oh ! je saurai bien si elle l’aime,elle !