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ou des militaires qui vous faisaient peur. Nous étions jeunes tous les deux, innocents tous les deux, désireux tous les deux de cesser de l’être. La nature parlait en nous avec sa voix irrésistible. Il y a quelque chose qui s’allume dans nos veines alors que nous désirons, une inquiétude dont on cherche la guérison dans les livres qui vous rendent plus inquiets encore. C’est en lisant ensemble un de ces livres, vous vous le rappelez, Nicole, non pas que vous avez cédé, car je ne vous demandais rien, car vous ne me refusiez rien, mais que nous avons trouvé le mot d’un secret inconnu. Pendant un mois ou deux, ce mot a été : Bonheur ! Pendant un mois ou deux, nous avons vécu au lieu de végéter. Cela veut-il dire, parce que nous avons été deux mois heureux l’un par l’autre, que nous devions être l’un par l’autre éternellement malheureux ? Allons donc, Nicole, si l’on prenait un pareil engagement en donnant et recevant le bonheur, on renoncerait à son libre arbitre et ce serait absurde.

— Est-ce de la philosophie que vous faites-là ? dit Nicole.

— Je le crois, répondit Gilbert.

— Alors il n’y a donc rien de sacré pour les philosophes ?

— Si fait, il y a la raison.

— De sorte que, moi qui voulais être honnête fille…

— Pardon, mais il est déjà trop tard pour cela.

Nicole pâlit et rougit comme si une roue faisait faire à chaque goutte de son sang le tour de son corps.

— Honnête quant à vous, dit-elle. On est toujours honnête femme, avez-vous dit pour me consoler, quand on est fidèle à celui que le cœur a choisi. Vous vous rappelez cette théorie sur les mariages ?

— J’ai dit les unions, Nicole, attendu que je ne me marierai jamais.

— Vous ne vous marierez jamais ?

— Non. Je veux être un savant et un philosophe. Or, la science ordonne l’isolement de l’esprit, et la philosophie celle du corps.

— Monsieur Gilbert, dit Nicole, vous êtes un misérable, et je crois que je vaux encore mieux que vous.