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ASCANIO.

cer à Ascanio ; la chose vous a paru impossible et insensée, et cependant je vous avais donné l’exemple, moi, madame.

— L’exemple ?

— Oui, comme vous aimez Ascanio, j’aimais Colombe.

— Vous ?

— Moi. Je l’aimais comme je n’avais encore aimé qu’une fois. J’aurais donné pour elle mon sang, ma vie, mon âme, et cependant je l’ai donnée, elle, à Ascanio.

— Voilà une passion bien désintéressée, fit la duchesse avec ironie.

— Oh ! ne faites pas de ma douleur matière à raillerie, madame ; ne vous moquez pas de mes angoisses. J’ai beaucoup souffert ; mais vous le voyez, j’ai compris que cette enfant n’était pas plus faite pour moi qu’Ascanio n’était fait pour vous. Ecoutez-moi bien, madame : nous sommes l’un et l’autre, si ce rapprochement ne vous blesse pas trop, nous sommes de ces natures exceptionnelles et étranges qui ont une existence à part, des sentimens à part, et qui trouvent rarement à frayer avec les autres. Nous servons tous deux, madame, une souveraine et monstrueuse idole dont le culte nous a grandi le cœur et nous met plus haut que l’humanité. Pour vous, madame, c’est l’ambition qui est tout ; pour moi, c’est l’art. Or, nos divinités sont jalouses, et quoique nous en ayons, nous dominent toujours et partout. Vous avez désiré Ascanio comme une couronne ; j’ai désiré Colombe comme une Galatée. Vous avez aimé en duchesse, moi en artiste ; vous avez persécuté, moi j’ai souffert. Oh ! ne croyez pas que je vous calomnie dans ma pensée : j’admire votre énergie et je sympathise avec votre audace. Que le vulgaire en pense ce