Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
INFIRMIER

visite, défaille tout à coup et je vois ses yeux se mouiller tout doucement.

Durant toute la soirée, on ne parle que de cette visite dans le camp, surtout ici, à l’hôpital, où chaque malade essaie d’aggraver son cas dans l’espoir d’obtenir la même faveur.

— Après tout, dit un arthritique, je souffre beaucoup…

— La visite de sa femme, ça devrait être une prime à la souffrance, ajoute un autre qui est atteint d’un mal peu grave dont l’effet se manifeste, toutefois, en douleurs spasmodiques.

Un géant toujours souriant, originaire de la Vénitie, qui justifie à lui seul les soixante et quelques comédies écrites par Goldoni à la gloire de la faconde vénitienne et qui est ici parce qu’il éprouve des douleurs à une jambe, approuve à son tour. Et il profite de l’incident pour tailler une autre bavette avec son voisin, un Autrichien à la voix tonitruante, qui fait pétarader les syllabes comme des coups de mitrailleuse.

— Ah ! finit par constater amèrement le Vénitien, dire que j’ai fait l’autre guerre comme soldat et que me voici maintenant prisonnier…

— Moi aussi, je me suis battu dans l’autre guerre, observe l’Autrichien sur le même ton.

— Moi, j’étais artilleur, précise le premier.

— Et moi, fantassin, dit le deuxième.

— J’ai même failli laisser ma peau au Val Brenta, reprend le premier.

— Moi aussi, dit l’autre.