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LA VILLE SANS FEMMES

prenne le jeu normal des événements, ce sera, pour nous aussi, la rentrée dans l’ordre.

D’ici là, patience, patience.

Un coup de clairon, au loin, sonne le réveil.

De tous les lits de la chambrée surgissent les hommes. Les interpellations suivent. Chacun ravale sa peine intime, ne voulant pas, par une sorte de pudeur, paraître souffrir. Des mots, des plaisanteries mille fois ressassées, se colportent de bouche en bouche et, chose étonnante, font rire ! Des vulgarités même. N’importe quoi. Pourvu qu’on ait l’air de « tenir le coup ».

Seul ou en groupe, on sort pour se débarbouiller, chacun tenant à la main la serviette, le savon, le dentifrice. L’action bienfaisante, énergique, de l’eau fraîche se fait sentir. On songe peut-être, au fond de soi-même, au réveil habituel, chez soi… mais personne n’en souffle mot. On serre les mâchoires et l’on feint d’être gai. Gai, même dans ces uniformes bleus aux larges disques blancs ou rouges tracés dans le dos dont tous les internés, dans tous les pays du monde, sont vêtus et qui donnent l’aspect de masques de carnaval où le bouffon frise le sinistre.

L’activité de la journée est déjà toute fixée, distribuée, partagée. Ceux-ci, formant une équipe, iront dans la forêt couper des arbres. Ceux-là, aussi par équipes, s’en iront dans des camions à une quinzaine de milles d’ici pour travailler à la réfection d’un pont. D’autres se contenteront de besognes plus modestes. Les hommes de santé faible ou délicate iront éplucher les légumes dans la cuisine. Quelques-uns seront de service au réfectoire. Il y a aussi ceux