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LA VILLE SANS FEMMES

britanniques internés en Italie et en Allemagne, avons traversé des périodes d’amertume profonde et vécu des heures de détresse intense. Cette amertume, cette détresse, ce drame que nous avons vécu, nous tous, Britanniques, Français, Allemands et Italiens, ont surtout été l’effet de la séparation d’avec nos familles. C’est la ville sans femmes qui a pesé sur nous. Pas autre chose !

Voilà que, sans presque m’en rendre compte, je me trouve sur une camionnette qui nous transporte, un de mes camarades, ancien journaliste en Argentine, et moi, vers la gare de la ville la plus proche. Quelques heures après, le train roule dans la nuit ouatée de brouillard.

Quel est le monde nouveau dans lequel je vais me trouver ? Je l’ignore… Tant de choses se sont passées depuis le jour où j’ai été brusquement séparé de l’extérieur ! Nous avions les journaux, il est vrai, et la radio. Mais pour bien coordonner et assimiler les événements de la vie collective, l’esprit a besoin d’une certaine ambiance. Tant que j’étais dans la petite ville, ces événements me faisaient l’effet de faits étrangers à ma sensibilité. On aurait dit que ma réceptivité était en quelque sorte imperméabilisée.

Je sens en moi le désir profond de plonger dans la vie du dehors et de savoir… En attendant, le train roule dans la nuit, rempli de jeunes gens en uniforme, des soldats des armées de terre, de mer et de l’air du nouveau Canada. Mes yeux les contemplent, émerveillés. Je ne les connaissais pas ! Je ne les soupçonnais pas ! Pendant quarante mois je n’avais vu, en somme, que des vétérans. Une