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Par ce frais matin dominical du premier automne que je passe dans cette petite ville, les rayons du soleil naissant mettent de bonne heure le feu aux jaunes, aux blonds et aux fauves de la chevelure de la forêt. Le lac offre à cet incendie le miroir de sa surface immobile, lisse et polie comme du cristal.

Je traîne malgré moi dans la chambre, et m’attarde à ma toilette. Le « Gillette » reste maintes et maintes fois arrêté sur ma joue savonnée. Je suis attiré, malgré moi, par ce paysage que j’ai pourtant vu à satiété, que j’aime et déteste tout à la fois.

Je l’aime parce qu’il donne une sensation de grandeur et de solitude et, par la variété et la vivacité de sa coloration, il est typiquement canadien. Je le hais parce qu’il ne bouge pas, s’obstine à rester là, hermétiquement clos, n’ouvre point passage à la vue sur les prairies, les plaines, les collines, les rivières, la mer… tout ce que Dieu, en somme, a créé afin que ces créatures se repaissent des beautés dont Il a parsemé le monde.

Mon ami Tory entr’ouvre la porte :

— Comment ? Pas encore prêt ? s’inquiète-t-il, muant le bon sourire épanoui qu’il avait sur les lèvres en une légère grimace de désappointement.