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LES PRISONNIERS DES PRISONNIERS

S’il apprend qu’une mission de trois ou quatre généraux est en route vers notre petite ville pour une visite officielle, il fait savoir tempestivement la nouvelle aux chefs des baraques. En un clin d’œil, comme cela se fait à la caserne, tout le monde est sur le qui-vive. On ratisse le terrain, on astique, on récure, on nettoie, on balaie, on brosse, on désinfecte jusqu’aux coins les plus reculés de chaque baraque. Et, à l’heure dite, tout est net, propre, brillant, reluisant, de sorte que l’inspection se termine en marche triomphale pour le colonel et, à fortiori, pour le sergent-major.

Autre personnage important de la petite ville : le censeur. Il remplit une fonction capitale pour les internés. Lisant et relisant attentivement toutes les lettres qui partent et qui arrivent, il est au courant de tous les secrets les plus intimes de chacun.

C’est une fonction qui, pour être exercée sans créer de rancœurs, exige d’être accomplie avec intelligence et avec cœur. À ce point de vue, nous sommes gâtés. Le censeur polyglotte qui, depuis le début, nous a suivis dans les deux camps, n’a laissé en nous qu’un souvenir reconnaissant.

En somme, prisonniers et prisonniers des prisonniers cohabitaient avec le maximum de compréhension réciproque. Ceux qui nous gardent n’ont qu’un souci : que nous ne nous en allions pas. D’où les deux parades quotidiennes, matin et soir ; les comptages et les recomptages fréquents, pour savoir si « tout le monde est bien là » et s’il « ne manque personne ».