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LA TOUR DE BABEL

si belle et si opulente, est devenue une pauvresse, et Budapest, si jolie, est tombée en ruines !

Tous ces marins ont gardé une sorte de fraîcheur d’esprit qui leur est particulière. Peut-être jusqu’ici, avant cette halte forcée et très prolongée, leur vie vagabonde leur avait-elle fait apercevoir le côté le plus agréable de l’humanité, parce que le plus superficiel. Allant partout mais ne s’arrêtant nulle part, ils n’avaient le temps de voir, du reste des hommes, que juste ce qu’il fallait pour les trouver aimables et agréables. C’est ici, maintenant, qu’ils perdent peu à peu toutes leurs illusions !

Cette promiscuité d’hommes appartenant à toutes les classes sociales fait vivre la majorité des internés, qui ne sont pas riches, avec certains autres nés pauvres et devenus peu à peu très riches. Les premiers ne savent point se dépouiller d’un sentiment assez bas d’envie, semblable à celui ressenti par un joueur pour le voisin qui, autour du tapis vert du baccara, a enlevé la banque en abattant 9.

— Le veinard ! disent-ils.

Veinard, certes. Car il y a toujours un élément impondérable de chance qui intervient pour ou contre dans chaque événement de l’existence. Mais quelle place dans ces éblouissantes réussites tiennent les qualités intrinsèques et foncières du caractère de chaque individu ? Dans ce microcosme qu’est notre petite ville, où l’on a l’impression de regarder la société humaine par l’autre bout de la jumelle et où tous les phénomènes de la vie se reproduisent en un format très réduit, avec les mêmes