Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
LA VILLE SANS FEMMES

une idée infernale, diabolique. La faire mienne pour lui inculquer les mêmes penchants, le même cynisme, la même cérébralité morbide qui s’étaient à la longue installés en moi.

« Qui sait ? Il y avait aussi, chez moi, le goût pervers et subtil de salir ce qui était propre… un besoin effréné de prosélytisme vers le Mal. Je me disais que l’expérience valait la peine d’être tentée, car je croyais alors que la vie, pour être vraiment la vie, devait être un arc-en-ciel, une palette avec toutes les couleurs du plaisir… depuis les plus tendres jusqu’aux plus ardentes et aux plus sombres. Je voulais qu’elle les goûtât avec moi, par moi. Une sorte de déformation professionnelle, quoi ! Un instinct perverti de création me poussait à doter cet être jeune, qui s’ouvrait à la vie, d’une âme semblable à la mienne. Ce dont je ne me rendais pas compte, c’est que l’homme propose seulement. Au moment précis où l’œuvre de longue haleine que j’avais entreprise était presque accomplie, où cette jeune fille que j’avais commencé, sans m’en apercevoir, d’aimer vraiment de toutes mes forces à cause de tout ce que de moi je voyais germer en elle et s’épanouir graduellement… à ce moment précis… j’ai été séparé d’elle, puisque me voici ici ! D’abord ce ne fut que douloureux. Mais la douleur était supportable parce que soutenue par l’espoir que la séparation serait de courte durée. Mais le temps passe. Les jours s’ajoutent aux jours, les semaines aux semaines. Et nulle chance de sortir. Alors, peu à peu, je commence à comprendre ce qu’elle doit faire. Puisque c’est moi qui l’ai façonnée, je sais également ce dont elle