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LES MUSES

J’avoue humblement que je me défends mal contre l’envoûtement de ces airs simples, de ces rengaines gnangnan, où invariablement « brune » rime avec « lune » et « amour » avec « toujours »… En tout cas, l’émotion dont j’étais envahi à cette minute, je la sentis gagner de proche en proche tous les autres hommes qui étaient là. La voix chantait, chantait toujours…

C’était celle d’un médecin montréalais qui possède un organe vocal en tout point excellent.

Non ti scordar di me


insistait la voix, avec des tonalités tantôt chaudes et passionnées, tantôt désespérées.

Chacun de nous répétait en lui-même ces mots, fredonnait ces notes à l’adresse de la « femme aimée » qu’il laissait derrière lui.

Quand le point culminant de la mélodie fut atteint, le point culminant de notre émotion le fut également.

Nous étions soulagés, délivrés de notre souffrance. Exorcisés, en quelque sorte. Une fois de plus, la magie de la Musique avait opéré : cette magie qui veut que, seule entre toutes les autres formes de l’Art, elle trouve d’emblée, directement, la voie mystérieuse de l’âme humaine.

Seulement, c’était dans notre chair saignante que le prestige s’était accompli.

Le vers magnifique de Baudelaire me revient à l’esprit : « la musique, parfois, me prend comme une mer ».

On comprend parfaitement à quel but généreux ont obéi les autorités militaires qui commandent notre petite