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L’HEURE DU VAGUEMESTRE

— Moi aussi, je voudrais sortir, naturellement. Mais je me suis obligé à l’indifférence. Je me laisse aller comme un corps mort emporté par les événements et je vais où le courant m’emporte. Voulez-vous que je lutte tout seul contre la destinée ? Je n’en ai ni la force ni l’envie. La destinée, c’est Dieu et l’homme n’est qu’une poignée de poussière…

***

Quant aux lettres que nous écrivions nous-mêmes… mais, d’abord, un fait. Une société littéraire anglaise avait ouvert en 1939 un concours pour déterminer quelles étaient les plus belles lettres d’amour « de tous les pays et de tous les temps ». Or, chose curieuse, le jury arriva à la conclusion que la plus belle lettre d’amour avait été écrite par un prisonnier ! La lettre primée était brève. La voici : « Loin de la prison, j’aperçois une petite échancrure dans la chaîne des collines lavées par les vagues de la mer. Et c’est là que je dirige mes regards toute la journée parce que tu es au-delà de ces collines, et mon regard me transporte aussi près de toi que possible. »

Dans son laconisme, cette lettre est d’une émotion poignante. Quand on est loin, quand on ne peut pas écrire comme on veut, la seule chose que l’on puisse adresser à celle qu’on aime, c’est un regard.

Heureusement, nous n’en étions pas là ! Nous avions le droit d’écrire trois lettres de vingt-quatre lignes et