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L’HEURE DU VAGUEMESTRE

ils savent qu’elle a… des aventures. Et des aventures connues de tout le monde, sauf du mari, bien entendu, qui, en tout cas, feint de les ignorer. Chaque fois qu’il reçoit d’elle un colis ou une lettre, il éprouve le besoin d’en faire part : « Ma femme vient de m’envoyer des cigarettes… ma femme vient de m’écrire qu’il fait très froid… ma femme me dit que… » Et il s’éloigne en faisant de larges gestes. Ses bras cachent l’expression du visage, de sorte qu’on se demande toujours s’il rit ou s’il pleure.

Il y en a qui reçoivent régulièrement des envois suffisants pour ouvrir une épicerie. Ainsi, l’entrepreneur millionnaire en construction a trois ou quatre colis par jour. Le chef d’un groupement politique canadien en a parfois cinq ou six. Un homme politique bien connu de la métropole en reçut neuf en même temps. Il fallut trois grandes brouettes pour transporter toute cette grâce de Dieu dans la baraque. Un industriel de Montréal eut le premier l’idée de se faire envoyer un coussin de plumes et des draps. Il eut vite un grand nombre d’imitateurs.

Chacun ne consomme pas, naturellement, ne pourrait jamais consommer seul toutes les friandises reçues d’un coup. Les friandises, ça se partage. On en donne. On en échange. On en vend même. Il y a cependant des copains — rares je le reconnais — qui, imitant l’instinct égoïste de la fourmi, entassent ce qu’ils reçoivent dans des caisses cadenassées, qu’ils ouvrent de temps à autre, en se dissimulant, comme s’ils étaient en train de faire