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SANGLOTS D’AUTOMNE

Quelle malédiction que la vie !… Il n’y a donc pas moyen d’en sortir ? Que ce soit d’une manière ou d’une autre… Faut-il donc toujours souffrir ?

Évidemment, je me dis qu’être seul, cela doit être bien pénible. Mais est-ce comparable à l’horreur que j’éprouve en sachant ta destinée, ma chère femme, que j’associe involontairement à mon sort dans cette aventure ? Puis-je prolonger une hypothèque sur ton existence et t’enchaîner à mon sort, alors que ce sort est lui-même enchaîné ?

La loi de l’amour ne peut pas m’accorder ce droit absurde. Le fait de m’avoir aimé ne t’impose pas la servitude d’abolir ta personnalité au bénéfice exclusif d’un être devenu quelque chose d’irréel, puisque tu ne me vois même plus, puisque, peut-être, tu ne me verras jamais plus…

Toutes sortes d’hypothèses se font place dans mon esprit. Car je ne t’ai pas menti seulement avant-hier. Je viens de te mentir à l’instant, plus haut, en t’écrivant.

Ce n’est pas pour toi que je geins, c’est pour moi. Il n’y a rien de généreux dans mes sentiments. C’est l’égoïsme seul qui m’anime. La vérité, c’est que je suis jaloux. Jaloux pour tout de bon. Jaloux de tout…

Jaloux qu’on puisse te voir, te regarder, te parler… Que tu puisses rire, vivre, t’amuser… Jaloux de savoir que tu appartiens à un monde où l’on peut encore aller à l’église ou au cinéma… Où on ne rentre pas dans une cabane à sept heures du soir et où l’on n’entend par, derrière soi, cadenasser la porte. Jaloux de ne pas pouvoir sortir à ma guise, de ne pas entendre les cloches des tramways, les