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LA VILLE SANS FEMMES

cet instant a suffi. Revenant à son fourneau, le chef est sidéré. Il constate que lèchefrite, beurre et œufs se sont volatilisés comme par enchantement.

Après deux ou trois incidents de ce genre, les rapports entre le chef et le « major » devinrent singulièrement tendus. Ce fut tout juste s’il n’y eut point rupture complète des relations diplomatiques. Et depuis, bien entendu, le chef est devenu extrêmement méfiant. Dès qu’il voit paraître le « major », il abandonne prudemment tout ce qu’il a en train et se met, lui, petit, à côté de l’autre qui est un géant, le suit pas à pas, surveille chacun de ses gestes, ne le quitte pas des yeux une seconde. Et c’est seulement lorsqu’il est sûr que le major est parti qu’il retrouve sa tranquillité et reprend son travail.

La cuisine offre aussi un bel exemple de la facilité avec laquelle peut se faire une réadaptation sociale de l’individu. Les cinquante cuisiniers, marmitons, laveurs de vaisselle, chauffeurs, qui s’agitent et se démènent autour des fourneaux rougis par le feu de bois, sont loin d’être tous des « gens du métier ». Un commerçant de Hamilton et un mineur de la Nouvelle-Écosse entretiennent les fournaises. L’ancien directeur d’un journal hebdomadaire est chargé de la distribution des mets. Un commerçant, un employé de bureau et le propriétaire d’un garage de Lachine avec un coiffeur de Montréal, un fruitier de Sydney et le propriétaire d’une fabrique de pâtes en Ontario, pour n’en désigner que quelques-uns, font un excellent travail à la cuisine et l’on ne peut dire,