Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
INFIRMIER

bêté par les femmes et on ne craint pas les voleurs. Que voulez-vous de mieux ?

Ce curieux homme exerçait une curieuse profession au camp. Il se tenait à l’affût, comme un chien devant le gibier, dans la salle où l’on défaisait les colis et il ramassait tous les bouts de ficelle, de cordonnets, de corde de toutes les couleurs et longueurs qu’il pouvait trouver. Puis il les roulait, les disposait convenablement et se faisait ainsi un stock digne de l’envie d’un mercier de profession.

— Que faites-vous de tout cela ? lui demandai-je un jour.

— Vous verrez, me dit-il. Ça deviendra précieux.

Il ne croyait peut-être pas si bien dire car, le jour où on nous annonça que nous étions transférés dans un autre camp, chacun eut besoin de ficelle pour apporter ses effets personnels. Ce fut son heure de gloire. On allait à lui. On le sollicitait. Il devenait subitement très populaire. Il vendait ou faisait cadeau de ses ficelles au gré de ses sentiments pour chacun. Il me tendit un gros rouleau de corde en me disant :

— C’est le témoignage de reconnaissance pour mes hémorroïdes…

L’hôpital était pour une autre raison un centre d’attraction dans le camp. L’hôpital, en effet, était une véritable agence d’information sur les événements extérieurs aussi bien qu’intérieurs. Pendant les premiers mois de notre séjour dans la ville sans femmes nous n’eûmes pas de journaux parce que le camp, dont la population était entièrement composée d’Allemands avant notre arrivée, avait été puni de façon collective à la suite de je ne sais quel