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LA VILLE SANS FEMMES

ce laps de temps écoulé, de revenir le consulter sur le sens de leurs rêves imaginés ou réels.

Un autre habitué de l’hôpital était un vieillard qui, avant l’internement, remplissait les fonctions de gardien dans une institution religieuse. Il continuait d’étaler une piété presque théâtrale. Affligé d’hémorroïdes, il visait surtout à se faire opérer. Comme l’opération tardait, il en était arrivé à une sorte d’exhibitionnisme dans le but d’apitoyer. Un après-midi, il entra comme une flèche dans le bureau où je travaillais :

— Monsieur, me dit-il, je tombe bien puisque vous n’êtes pas occupé. Je vais vous montrer mes hémorroïdes afin que vous puissiez me recommander au médecin militaire en vue de l’opération.

Il commençait déjà à déboutonner ses bretelles. J’eus beaucoup de peine à le dissuader. Le médecin de service arriva sur les entrefaites et je m’empressai de lui confier l’encombrant malade. Brave homme au fond, il avait une manière à lui d’apprécier les bienfaits de l’internement. Comme il était doué d’un appétit gargantuesque et qu’en mangeant trois portions au lieu d’une il parvenait à peine à contenter sa faim, il me dit un jour :

— Au fond, quand je partirai d’ici, je regretterai l’internement.

— ?  ?  ?

— Mais oui, songez donc ! Ici on ne reçoit pas de factures, on ne paye pas de loyer, on se nourrit à sa faim. Si nos chaussures se déchirent, il n’y a qu’à aller voir le Quartermaster qui vous les remplace. On n’est pas em-