Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 279 —

pathies se dessinèrent dès que la réclusion fut tenue pour durable. Des querelles éclataient parfois entre prisonniers ; toutes finissaient par des larmes qui pleuraient bien plus sur la France que sur le sujet de la discorde. Les seules distractions consistaient à regarder passer des Russes, internés dans une sorte de parc mitoyen ; les infortunés des deux races se considéraient muets et stupides. Quelquefois, un cosaque essayait de prononcer des mots d’amitiés, mais les nôtres n’entendaient rien à leur idiome, et chacun s’éloignait plus triste. Alliés, mais étrangers l’un à l’autre, leur captivité s’aggravait de cette incompréhension mutuelle.

Pourtant, un jour, un grand diable noir et barbu jeta par dessus la palissade une phrase en français. Aussitôt on s’assembla, et, par lui, une sorte de voisinage s’établit qui mit leur misère à l’unisson. Il sembla, qu’à partir de ce jour, l’horizon se fût élargi.

Le vingt mai, Jeanne Deckes — qui partageait avec une brave paysanne belge, une sorte de box humide, — éprouva les premières douleurs de son état. Elle en parla à M. Bonfils, lequel s’enhardit, et courut aux bureaux du gestionnaire. Il plaida si chaudement la cause de cette mère, fit sonner si haut le titre de doctoresse, que des ordres immédiats furent donnés pour que la dolente prisonnière fut transportée dans une sorte de maternité. La nature fit expier, par de longues heures de tortures,