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— Il veut sans doute m’adoucir la cruauté de cette nouvelle ! songea-t-elle en maîtrisant ses sanglots.

Un train la déposa trois heures plus tard dans l’Eure.

Rien ne fut tragique comme la feinte ignorance que simulèrent les deux époux. Ils étaient dans leur home depuis une heure sans avoir encore osé aborder le sujet de leur deuil ; et chacun, voyant le calme de l’autre, pensait :

— Peut-être ne sait-il pas !

Tous deux cherchaient des mots consolateurs et n’en trouvaient pas. À table — comme nul ne se décidait à manger — le général (car Monsieur Lartineau avait été promu général depuis peu) hasarda :

— Ma pauvre Juliette, je voudrais bien te dire…

— Je sais, répliqua la mère… Ce pauvre Gaston ! acheva-t-elle en pleurant.

— Mais non… Pas Gaston… Jean ! Jean est mort à Tahure !

— Jean ? Mais non, Gaston, cria Mme Lartineau comme si on l’eût égorgée. Regarde !

Elle sortit la lettre officielle de son corsage et le général en la lisant baissa la tête.

— Eh ! bien ? réponds… Jean ?

— Je l’ai bien vu celui-ci là… Et la terre le recouvre ! Mort en héros mais bien mort ! Je ne savais pas que Gaston…

— J’espérais encore pour Jean !

Il sembla aux deux époux qu’une griffe leur arra-