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— Alors… la guerre était possible !… Ni l’horreur du sang, ni l’énormité de l’aventure, ni le respect des traités, rien ne compte… et par notre faute, rien n’est prêt chez nous !!…

Leurs rides, flasques et distendues, plaquaient sur les pommettes et les mâchoires des chairs flétries que nulle velléité de séduction ne soutenait plus. Ni fille, ni amante ne tentait leurs derniers feux : toute la puissance affective de leur vieillesse était dirigée vers le Front où se battaient leurs Fils. Et les faits accomplis réveillaient leur somnambulisme politique. Maintenant ils comprenaient quel mirage avait hypnotisé leur entendement, et fait de l’utopie socialiste l’instrument de la déchéance. Ils savaient bien, ces hommes à barbes blanches — que l’âge mettait à l’abri des risques militaires — que c’était eux qui étaient responsables du désastre. Beaucoup se souvenaient de 1870, et cependant ils avaient voté contre les crédits de guerre, ils avaient, par veulerie, par erreur, ou par intérêt, mis leurs fils désarmés devant la gueule des canons. Leurs Fils… Ils tombaient comme des phalènes, ces innocents de vingt à vingt-cinq ans ! La Belgique et l’Alsace en virent succomber tout de suite des milliers ; et les fantômes des premiers héros se dressèrent devant leur conscience de pères coupables. Mais ils étaient beaux les vieux hommes… parce qu’ils ouvraient enfin les yeux à la vérité. Malheureusement, la glu qui fermait leurs paupières était si épaisse qu’il